"La Belgique conçue comme une jungle, est-ce bien sérieux?" nous sommes-nous demandés en entamant le nouveau roman de Giulio-Enrico Pisani, car le plat pays ami et voisin nous paraissait toujours un peu plus "Brel" que "Livingstone". Eh bien, non, l'inspecteur Pisani a mené son enquête dans les bars de la Gare du Nord, dans les quartiers huppés aux noms bien flamands et dans les clubs plus que privés où les grands fauves tournent autour de la chair fraîche.
Et aux relents de gueuse Lambic et de whisky écossais s'ajoute le flair du chasseur, qui traque le fauve primaire, le Grand Fauve, nonditekkertje, dans cette quête sempiternelle et tragique, que nos chantres ancestraux tels que Renaud ont décrit par les vers immortels : "C'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme."
Ridi Bajazzo est construit sur le modèle classique du polar d'investigation, mais c'est bien sûr un polar psycho-érotico-historico-sociologique, donc pisanique au plus haut degré, parfois franchement rigolo, très bruxellois dans le meilleur sens du terme, et il fera certainement plaisir à tous ceux qui ont apprécié son Der Flug des Bussards et ses poèmes érotiques.
L'autocensure, Pisani ne la connaît pas, auteur et éditeur à la fois, il s'en donne à coeur joie, laissant de côté les maniérismes tels que "le respect du genre". Le roman démarre pratiquement sur le chapeau des roues, et le premier chapitre "Natalia" est à la fois déchirant, cruel et superbe :
"Des rêves ou, plutôt, des cauchemars récurrents la montraient à elle-même, nuit après nuit et parfois même de jour, comme si elle avait été une autre, minuscule, impuissante, ses petits pieds ne touchant plus le sol, écrasée de toute part, puis tombant sur le pavé, piétinée par mille chaussures, sandales, bottes godasses, écrabouillée par les roues de camions et par les chenilles des chars, la bouillie informe qui restait d'elle drainée par les caniveaux, aspirée par les égouts, finissant en enfer... Geysers de l'âme."
Est-ce qu'ainsi se sent une petite fille enlevée ? Oui, peut-être.
Et puis intervient Henry Wolwert, jeune reporter, que Pisani qualifie ainsi : "Évolution considérée, à tort ou à raison, chez les animaux dits supérieurs, depuis l'aube des temps, comme positive, utile et souhaitable, devenir adulte lui paraissait par contre une calamité."
Le reste de l'enquête, est une drôle d'histoire belge, bien embrouillée d'argent sale, de pédophilie et d'enlèvement, et nous n'en trahirons certainement pas le dénouement, car j'ai eu la nette impression qu'il lui fait défaut. D'ailleurs, les éditions Stan Tepede, à juste titre, ne le nous pardonneraient pas. Relevons cependant que le polar pisanique manque peut-être un peu de logique, mais par contre, s'amuse bien. "Il s'agissait d'une certaine madame Becherel, Henriette Becherel, chargée de public-relations chez Lions Seniors."
En plus, il se distingue du polar américain par le fait recommandable qu'il ne se termine pas sur la chaise électrique, mais de préférence au lit. Polar moral au plus haut degré donc, que nous recommanderons à chacun et à chacune, que les massacres made in Trenchcoat Country ennuient depuis belle... délurette ?
Giulio-Enrico Pisani : Ridi Bajazzo ou le chasseur fou; roman ; 170 pages ; éditions Stan Tepede; ISBN 2-87996-967-0