« Il faut quelque chose de léger, flottant, tu vois, dédramatiser un peu... Il faut laisser respirer le personnage cette fois... ». Les yeux rivés sur l’écran de mon ordinateur, Michel Zeches acquiesce et confirme, propose, aussi. Il vient de regarder le premier montage de mon court-métrage, tourné il y a quelques semaines. On parle de tels ou tels instruments, celui-ci plutôt que celui-là. Nous sommes immédiatement d’accord sur les respirations, les moments où la musique doit être là et pourquoi. Renforcer le propos, non l’illustrer.
Michel Zeches est compositeur.
Ca commence souvent comme ça : des cours de piano débutés enfant et abandonnés quelques années plus tard. Pourtant, après le bac, les conservatoires. Luxembourg et Liège, la composition, l’harmonie, l’analyse. Le bagage technique, comme il l’appelle. Et en même temps, la pédagogie : Michel Zeches est également instituteur. Pour autant, la musique n’est pas un hobby : « On dirait les chaînes de bricolage ! Il y a la peinture, le jardinage, et puis la musique ? Ah non, quand même pas... » Lorsqu’il n’est pas en classe, il compose. Lit. Va au cinéma. Retourne aux instruments. Le piano a finalement réapprivoisé Michel Zeches. Aujourd’hui encore, il est le premier qui a les faveurs de son inspiration.
Ses compositions, de la musique contemporaine en général et de la musique de chambre en particulier, ont pu être écoutées lors de récitals dans des musées ou des églises. Lieu public, public averti. On écoutait du Mozart, du Brahms et du Zeches à la fin. Et puis de moins en moins. « Et kann een net op alle Kiermëssen danzen ! ». On ne peut pas tout faire. Des mots sobres et simples pour signifier le choix de dire d’autres choses, d’une autre manière.
Il compose toujours, pour ailleurs : on écoute aujourd’hui du Zeches au théâtre et au cinéma, là où « les gens ne viennent pas pour la musique… » Sans tambours ni trompettes, tout a commencé par un spectacle au titre évocateur : Dies Irae. C’était en 2001, à la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette. Jacqueline Posing-Van Dyck avait mis en scène un monologue de Michel Grevis sur Mathes de Medernach, ultime Luxembourgeois à être envoyé à l’échafaud, en 1793. Marco Lorenzini n’était pas seul en scène : il y avait autour de lui cinq musiciens, jouant la composition de Michel Zeches créée pour l’occasion. L’expérience le touche, il y revient à plusieurs occasions, dont l’ambitieux Dracula, mis en scène par Claude Mangen en 2012.
La dernière collaboration avec la scène remonte au début de l’année, pour l’Impromptu de l’Alma, toujours avec Jacqueline Posing-Van Dyck. Ici, pas de musiciens sur scène. Le canevas est enregistré sur un disque, diffusé à des moments précis de la pièce. De la nappe enveloppante du début qui accueille les spectateurs au bestiaire grotesque qui les surprend. Pour sa première incursion dans l’univers absurde d’Eugène Ionesco, le musicien a du composer avec un ton ironique et des personnages à la gestuelle très mécanique. Il en a résulté une musique emplie de bruitages, d’objets qu’on devine, invisibles pour les yeux mais présents par les oreilles. Le scénographe Christoph Rasche avait imaginé l’appartement de l’auteur-personnage de manière très ludique, un aspect repris par la musique. Michel Zeches insiste sur l’importance du décor, qui inspire directement son travail : « D’abord, évidemment, je lis le texte. Mais j’aime surtout voir la maquette. Le lieu. Savoir si l’on est dans l’intime ou pas ». Puis, au maximum, assister aux répétitions, baliser les chemins empruntés. C’est donc là, l’étape de l’immersion, s’imprégner pour assimiler et proposer. Revenir, essayer. La musique d’ambiance est loin.
Au cinéma, après un documentaire sur le peintre Fernand Bertemes, intitulé Corps et graphies et réalisé par Georges Fautsch (Centre national de l’audiovisuel, 2006), Michel Zeches signe la partition du premier court-métrage du comédien Serge Wolf, Le miroir des apparences (Red Lion, 2014). Il retrouve la plus grande contrainte de l’exercice, le montage : « Les premières images sont déjà très précises. La suite est minutieuse, car quelques secondes coupées, ce n’est pas grand chose à l’image, mais la musique doit être alors retravaillée en fonction. » Et dans Le miroir, on est loin de la « simple » bande originale : la musique n’est pas uniquement là pour illustrer ou accentuer une émotion, elle est un élément diégétique, directement reliée à l’action. Jean-Guillaume Weis danse sur du Michel Zeches. La musique d’ambiance a disparu.
Sur son soundcloud, on retrouve des choses très différentes. Des extraits des musiques crées pour le film, pour les pièces. Et puis aussi ces shortcuts, morceaux très courts, des créations personnelles. répertoriés par numéro. Ils forment ce que le musicien appelle son « cahier de brouillon », des compositions en guise d’« hygiène mentale », dit-il.
Et à l’écoute, le processus de création s’inverse : en immersion dans la mélodie, on finit par imaginer des images.