Elle est blonde et ensoleillée et s’efface tout de suite derrière ses collaborateurs dans un grand sourire. « Mon travail est un travail d’équipe, chacun a son importance », précise-t-elle d’emblée en nommant tous ses coéquipiers. Pourtant c’est bien elle, Gabriele Grawe, la conservatrice de la Villa Vauban. « Et attention ! Pas directrice hein ? Parfois les gens confondent ! ». En poste depuis trois ans maintenant, elle n’a visiblement pas perdu la fraicheur et la motivation qui caractérisent les nouveaux venus et font si souvent défaut aux vieux routiers de la vieille, même dans le monde de la culture.
Quand on lui demande de définir la mission d’un conservateur de musée au XXIe siècle, Gabriele Grawe s’excuse presque de ne pas correspondre à l’image qu’on pourrait s’en faire. « C’est une profession qui a beaucoup changé. J’ai été formée dans de grands musées où des escouades de conservateurs permettaient à certains de s’occuper seulement des expositions scientifiques. C’est devenu impossible aujourd’hui, surtout dans les musées de plus petite taille. Avec la crise, le politique réduit drastiquement les moyens et donc les ressources humaines, et on se retrouve à devoir gérer le marketing, les relations publiques, le programme pédagogique, le budget au détriment de la recherche. Il y a pourtant tant de travail et tellement d’historiens de l’art qualifiés qui pourraient le faire… C’est Angelika (Glesius, la conservatrice adjointe) qui se charge de l’aspect recherche et publications, c’est un peu frustrant mais il n’y a pas assez d’heures dans une journée pour tout faire ».
On le sent, Gabriele Grawe prend son rôle à cœur. Ses différentes expériences l’ont souvent amenée à faire le grand écart entre les villes et les époques. Née à Witten, dans la Ruhr, ses études puis ses engagements professionnels ont eu beau la balader entre Cologne, Trêves, Berlin, aux États-Unis puis retour à Dresde, Kassel, Paris, c’est quand même à Trêves qu’elle s’est retrouvée, avant de poser ses bagages à Luxembourg. De même, difficile pour Gabriele de ne pas sourire quand on lui demande son domaine de spécialisation. Car si elle a fait sa thèse de Magisterarbeit sur les membres du Bauhaus contraints à l’exil aux États-Unis, les différents projets sur lesquels elle a travaillé l’ont promenée à travers les arts et traditions populaires, l’art moderne et contemporain en passant par l’archéologie et l’art ancien. « Je suis allemande mais j’ai énormément déménagé, je ne me sens pas liée à un seul endroit. Je sais donc m’adapter et garder mes distances, ce qui est important pour garder un certain recul, préserver un œil neuf. Ça facilite mon travail. En outre, chaque expérience m’a appris un nouvel aspect du métier, ce qui me sert aujourd’hui. C’est peut-être aussi à cause de ça que j’ai pour la Villa Vauban des ambitions qui dépassent les frontières ! » ajoute-t-elle.
Pas de doute dans son esprit. La Villa Vauban a du potentiel. C’est ce qu’elle s’est dit en découvrant les collections et le site du musée pour la première fois. « Je ne connaissais ni le Luxembourg ni la collection lorsque j’ai entendu parler de ce poste à la Villa Vauban », avoue-t-elle. « Je travaillais à Trêves, et lorsque j’ai essayé de me renseigner, je me suis rendue compte que ce musée avait très peu de visibilité. C’est un de mes principaux objectifs désormais : travailler sur la renommée de la Villa Vauban. Pour cela, je compte beaucoup sur le bouche-à-oreille entre institutions, grâce notamment aux prêts que nous avons déjà contractés par exemple. L’expérience a été tellement positive, les contacts humains tellement riches et professionnels que ça s’est su. Et grâce à cela, le musée de Dresde a sollicité notre collaboration l’année prochaine. Il faut continuer en ce sens. »
Quelle surprise – agréable - lorsqu’elle découvrit qu’elle aurait également à s’occuper d’œuvres d’art contemporaines d’artistes du Luxembourg acquises par la Ville ! Tout son parcours prenait d’autant plus de sens. « Ce mariage entre ancien et moderne est parfaitement réussi à la Villa Vauban, notre lieu est si particulier. Nous avons la partie neuve et son ambiance prestigieuse et la partie villa, avec ses pièces intimes, que j’aime bien pour les plus petites expos. On peut jouer entre les deux sans oublier le parc que l’on va commencer à exploiter grâce à des sculptures de nos collections. Nous mélangeons beaucoup l’art ancien et l’art contemporain pour créer un véritable dialogue entre les œuvres à travers les siècles. Cela les rend encore plus vivantes ». Et de conclure : « La Villa Vauban est un délicat petit musée en trois parties. Il est neuf et ancien, régional et international tout comme ses collections ».
Les collections, elles sont encore largement à explorer selon Gabriele Grawe. « Seul un pan, la collection Pescatore, a fait l’objet d’une étude exhaustive, je vous renvoie à l’excellent ouvrage de Linda Eischen à ce sujet (La collection de peintures de Jean-Pierre Pescatore, 2004). Il reste néanmoins les deux autres collections privées qui constituent aussi le fonds de la Villa Vauban : la collection Lippmann et la collection Dutreux. Je voudrais effectuer le même genre de travail pour celles-ci. Beaucoup d’œuvres ne sont pas toutes identifiées, leur provenance est inconnue… Il reste beaucoup de recherches à faire, et cela m’attriste de ne pas pouvoir m’y consacrer plus. La série Collections en mouvement instituée depuis la réouverture il y a cinq ans, nous permet néanmoins de travailler dans cette direction. Parfois des historiens de l’art qui voient les œuvres exposées font le lien avec d’autres œuvres qu’ils ont vues ailleurs et nous donnent des indices. On apprend ainsi plein de choses, d’où l’importance de les faire tourner, de les montrer… On a commencé par un petit catalogue (Les Collections en mouvement. Peintures et sculptures, du XVIIe au XXe siècle, 2014) qui sert à la fois de guide pour les visiteurs mais aussi à être diffusé auprès d’autres musées. Il est vital pour nous de communiquer ! » insiste-t-elle.
Pour mieux captiver les visiteurs, la conservatrice n’hésite pas à les étudier. Elle se promène souvent dans les salles pour mieux tâter le terrain. Forte des statistiques et des chiffres fournis par son équipe, elle organise la mise en exergue de sa Villa. Ainsi, les expositions d’hiver ciblent plus un public local – comme les expositions consacrées à Sosthène Weis tout récemment ou Frantz Seimetz l’année dernière. La haute période de fréquentation s’étend d’avril à fin juillet, juste avant le hiatus estival. Le tourisme à Luxembourg est alors à son paroxysme et la Villa Vauban a réussi, selon Gabriele Grawe, à se hisser au sommet de la liste des endroits à visiter de la capitale, juste après les casemates. C’est le temps idéal pour dégainer les expositions « tête d’affiche », à grand renfort de prêts internationaux (qui sont le plus souvent limités à trois mois). Pour elle, ces échanges sont fondamentaux à la fois pour attirer de nouveaux visiteurs, mais aussi pour intensifier les relations internationales inter-musées.
Bien entendu, impossible de faire abstraction des nouvelles technologies d’aujourd’hui, même dans un musée d’art ancien. Si, rappelle Gabriele Grawe, rien ne remplace le fait de se retrouver devant un original, la numérisation des collections et leur médiatisation via les réseaux sociaux ou les apps pour mobile sont une étape fondamentale. « Je suis, moi, persuadée que les musées sont indispensables mais parfois certains se posent la question de leur nécessité. Les adolescents sont de ceux-là par exemple. Il faut réussir à les faire venir au musée, rencontrer les œuvres face à face. Pour cela, nous devons aller les chercher là où ils sont. » Un avenir qui passe forcément par le numérique, une étape de plus pour cet écrin d’art qui traverse si joliment les siècles. Il y a l’art et la manière.