La possibilité temporaire de contrôle des frontières présentée le 5 mai dernier par la Commission européenne dans le cadre de sa communication visant à garantir une mise en œuvre et une interprétation cohérentes des règles de Schengen n’a pas la faveur de la majorité des eurodéputés. En effet, ni le président José Manuel Barroso ni la commissaire en charge des questions d’immigration Cecilia Malmström ne sont parvenus, mardi 10 mai, à les convaincre du bien fondé de la stratégie qui sera soumise aux ministres des l’Intérieur lors du conseil justice et affaires intérieures du 12 mai. Réunis en plénière à Strasbourg, les parlementaires ont débattu de ce projet de réforme de Schengen qu’ils ont largement critiqué.
La Commission a proposé un « mécanisme » formel d’exemption aux règles de Schengen de dernier recours, qui permettra à l’Union de gérer les cas où un État membre de Schengen « ne s’acquitte pas de son obligation de contrôler son segment de la frontière extérieure » ou lorsqu’une partie de cette frontière « est soumise à une pression forte et imprévue en raison de circonstances externes ». Cette proposition suppose qu’une « décision européenne » soit à l’origine de l’activation de ce mécanisme, alors qu’aujourd’hui les décisions de rétablir des frontières – limitées aux « cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure » –, sont nationales. Ce mécanisme permettrait de décider, au niveau européen, quels États membres réintroduiraient exceptionnellement des contrôles aux frontières intérieures et pendant combien de temps. Et ce jusqu’à l’adoption d’autres mesures visant à stabiliser cette frontière.
Malgré tout, pour la plupart des députés, ceci revient à porter atteinte à l’essence même de l’Union et de la libre circulation à laquelle les citoyens sont très attachés.
« Ne touchez pas à Schengen !, a prévenu Robert Goebbels (S[&] D, Luxembourg), sinon vous aurez une révolte citoyenne ». Soulignant l’aberration de ces contrôles, il a interpellé la commissaire : « Imaginez-vous contrôler les 150 000 frontaliers qui chaque jour viennent travailler à Luxembourg ? »
Le président du groupe libéral Guy Verhofstadt estime qu’un nouveau mécanisme n’est pas nécessaire et qu’il faut seulement « renforcer les mesures déjà existantes de l’acquis Schengen ». Il dénonce une manœuvre politicienne, « une partie de ping-pong entre deux gouvernements, sur le dos des réfugiés », destinée à faire croire à un « tsunami migratoire » venu de la Méditerranée. Cette proposition est inappropriée, « disproportionnée » au regard du problème et « la communication de la Commission n’était pas très claire. Je vous prie de la réécrire », a-t-il demandé sur un ton sarcastique.
Plusieurs députés ont aussi relativisé l’afflux d’immigrants et souligné que le mécanisme actuel de Schengen a permis à la Suède d’accueillir sans problème 25 000 migrants par an, sans qu’elle qualifie ces mouvements de « crise », comme l’Italie le fait. « Des milliers de réfugiés venant de Libye en Tunisie, ça, c’est une crise pour la Tunisie, mais 25 000 réfugiés venant de Méditerranée vers l’Europe, cela ne peut pas représenter une crise pour l’Europe », comparé à ce que l’Union a déjà connu par le passé, a lancé le président du groupe socialiste Martin Schultz, dénonçant une approche « populiste » du phénomène migratoire.
Au nom des Verts, le Français Daniel Cohn-Bendit a rappelé qu’au moment de la guerre en Bosnie, l’Europe a accueilli de très nombreux réfugiés. « L’Allemagne en a pris quelques centaines de milliers, elle n’a toujours pas coulé ! », s’est-il moqué. Il s’est dit inquiet de ce que « les contrôles aux frontières [internes] seront un contrôle facial : ceux qui seront bronzés, différents, seront contrôlés ».
Quelques voix se sont en revanche portées en défense de la communication de l’exécutif européen : qui pour l’eurodéputée française Véronique Mathieu, du parti conservateur PPE, a donné « une réponse pragmatique et nécessaire ». Dans l’espace Schengen, si un État ne respecte pas ses obligations, « c’est tout le système qui devient défaillant. Il est donc raisonnable d’autoriser les États à limiter les conséquences de ces défaillances », a-t-elle conclu.
Soutien aussi du Britannique Timothy Kirkhope au nom des Conservateurs et réformateurs qui considèrent qu’« il est temps non plus de se concentrer sur la liberté de mouvement, mais sur les contrôles aux frontières » et ce parce que le système actuel est défectueux et n’est pas prévu pour les nouveaux enjeux que sont le chômage à large échelle, l’immigration et le terrorisme.
En préambule au débat, José Manuel Barroso a eu beau préciser qu’il « ne s’agit pas, pour les États, de trouver un moyen de réintroduire les contrôles aux frontières. Ces options existent déjà ». La commissaire Malström a pourtant asséné qu’il vaudrait mieux « une approche européenne » sur « la base des législations actuelles » que les manœuvres « unilatérales » des États et que « Schengen est une conquête magnifique ». Elle a même proposé, en réponse à Guy Verhofstadt de clarifier davantage l’interprétation du texte à travers des « lignes directrices ». Les députés n’ont pas fléchi pour autant devant ce peu de conviction. Reste à voir maintenant comment vont réagir les 27.