Lors du 29e sommet franco-italien du 26 avril, le président Nicolas Sarkozy et le chef du gouvernement italien Sylvio Berlusconi, qui face à l’afflux de quelques 25 000 migrants et de réfugiés sur l’île italienne de Lampedusa, s’accusent depuis plusieurs semaines l’un l’autre de ne pas respecter le traité de Schengen, se sont conjointement prononcés en faveur … d’une réforme du traité de Schengen dans un sens plus restrictif. Ce pourrait être une farce digne de la Commedia dell’ arte si le sort de plusieurs milliers de personnes n’était pas en jeu et si ces manœuvres ne faisaient pas le lit de tendances populistes sécuritaires pour ne pas dire extrémistes. Ce qui est fort à propos, vu les échéances électorales dans les deux pays. Une dérive qu’a d’ailleurs pointée le président de la Commission européenne José Manual Barroso, le 29 avril.
Cet « espace Schengen » de libre circulation des personnes, en vigueur depuis 1995, concerne 22 pays de l’UE (en sont exclus la Bulgarie, Chypre, l’Irlande, la Roumanie et le Royaume-Uni), la Suisse, la Norvège et l’Islande sont aussi signataires de l’accord. Il consacre l’ouverture des frontières entre les pays signataires qui doivent, en contrepartie, renforcer d’une part, les contrôles aux frontières extérieures au nom de tous les autres, s’assister mutuellement et d’autre part, la coopération policière entre les États-membres. Concrètement, c’est grâce à cet espace que les 400 millions de citoyens des États signataires n’ont plus à présenter de pièces d’identité aux frontières des autres pays membres.
Un mécanisme instauré par l’article 23 du code Schengen appelé clause de sauvegarde permet de réintroduire temporairement des contrôles entre États « cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure » pour trente jours éventuellement renouvelables si les risques persistent. Cette clause a déjà été utilisée en France suite aux attentats de 1995 et en Allemagne lors de la Coupe du Monde de 2006. Elle l’a, à nouveau, été dans le litige franco-italien le 17 avril dernier, lorsque Paris a interrompu la circulation des trains depuis Vintimille en Italie vers le sud-est de la France en riposte à l’octroi par Rome de « permis de séjour temporaires humanitaires » permettant aux migrants du Maghreb ou de Libye de rejoindre des proches au sein de l’UE, principalement en France ou en Belgique.
Mais malgré l’insistance de Malte et de l’Italie, la Commission a rejeté les appels à une suspension temporaire du régime de Schengen.
C’est pourtant ce que demandent Paris et Rome, soutenus par Berlin, invoquant encore cet article 23. Dans la lettre adressée au président de la Commission et à celui du Conseil, les deux leaders politiques ont d’abord constaté que « les pressions aux frontières communes entraînent des conséquences pour l‘ensemble des États membres » et ils ont estimé le critère de l’article 23 trop stricte. Aussi ont-ils suggéré d’en élargir les conditions d’application selon deux critères supplémentaires : autrement dit, de rétablir les contrôles aux frontières internes si un État de cet espace Schengen est défaillant à l’égard des autres dans la surveillance de ses frontières, comme la Grèce l’a été récemment le long de sa frontière turque ou encore, si un État doit faire face à un afflux massif de clandestins. Les Suédois et les Finlandais les soutiendraient.
Ils souhaitent de plus renforcer Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières extérieures de l’UE. Un accord sur la réforme de Frontex, en coopération entre le Conseil et le parlement européen, doit être trouvé en juin prochain. De leur coté, Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi ont annoncé leur décision de travailler ensemble sur cette question qui sera à l’ordre du jour du prochain sommet européen consacré à l’immigration le 24 juin prochain.
Au parlement, les députés de gauches et les verts crient au scandale à l’instar de Daniel Cohn-Bendit (Verts, Allemagne) qui fustige un « détricotage de l’intégration européenne ». Rapporteure d’un projet de réforme de directives relatives à la politique européennes d’asile, l’eurodéputée socialiste française, Sylvie Guillaume, critique une manœuvre qui consiste à lancer un « ballon-sonde en direction de leur électorat d’extrême-droite. S’il est juste de considérer que la gestion d’un afflux de migrants doit être de la responsabilité de l’UE, aménager les accords Schengen à la manière des deux chefs d’État témoigne soit d’une ignorance totale de la législation européenne, soit, et plus certainement d’ailleurs, de leur obstination à refuser de bâtir des solutions européennes, voire à les invalider »
La Commission quant à elle, essaie vaille que vaille de ne pas remettre en cause la libre circulation, fondement de l’UE et avance sur deux fronts. D’une part, son président José Manuel Barroso a le 29 avril, dans sa réponse à la lettre qui lui était ainsi adressée, souligné que « le renforcement de l’application des règles de gouvernance (...) de l’accord Schengen est un domaine que la Commission est en train d’examiner. J’ai la conviction que nous partageons les mêmes objectifs, à savoir une meilleure gestion de la politique migratoire au niveau de l’Union européenne, plus coordonnée, plus renforcée, plus solidaire et surtout plus commune ». Il n’associe pas le retour temporaire de frontières à l’immigration mais précise que ce « rétablissement temporaire des frontières » doit être « soumis à des critères spécifiques et bien déterminés », à détailler. La proposition franco–italienne est une possibilité parmi d’autres. Prônant « une approche équilibrée », il met clairement en garde contre « une vision trop sécuritaire, (...)[ et ] une vision trop laxiste de la politique de l’immigration ».
Sur le second front, conduit par la commissaire en charge des Affaires intérieures et de la Sécurité, Cecilia Malmström, elle a rendu public le 4 mai un « paquet global » d’actions pour lutter contre l’immigration comportant des propositions en vue d’une adaptation des règles de Schengen qui sera examiné le 12 mai lors d’une réunion extraordinaire des ministres de l’Intérieur à Bruxelles. Si ce document dont le Lëtzebuerger Land a obtenu une version avant son bouclage, déclare « explorer la faisabilité » de la révision de l’article 23 dans le sens voulu par la France et l’Allemagne dans un premier temps et par l’Italie ensuite et « va présenter des » propositions « prochainement ». La Commission pointe l’insuffisance des ressources financières européennes disponibles pour la politique migratoire et suggère d’adapter le prochain cadre de l’UE financier pluriannuel, prévu pour démarrer en 2014, afin que les subsides puissent être mobilisés plus rapidement et avec souplesse.
Elle préconise une approche davantage orientée sur le long terme et non pas limitée au « verouillage » des frontières et vise, entre autres, la mise en œuvre d’une assistance de l’UE à la reconstruction des économies de ces pays et d’accords de réadmission des migrants clandestins avec, notamment, la Tunisie, un point difficile car les pays tiers ne souhaitent pas forcément « ré-accueillir» ces clandestins. M. Barroso et deux commissaires se sont ont déjà rendus à Tunis pour tenter de progresser sur cette voie de « partenariats renforcés » avec les autorités intérimaires tunisiennes. C’est selon les termes de M. Barroso, la seule « solution durable à la pression migratoire actuelle ».
Elle estime en outre « urgent » que le Conseil et le parlement approuvent sa proposition sur le renforcement de Frontex qui permettrait à celui-ci d’obtenir des moyens de financement propres et par là, l’équipement de surveillance lui permettant de mieux repérer les migrants illégaux. Elle fait ensuite état d’autres initiatives en matière de migration à plus long terme envisagées dans les prochains mois.
La réforme de Schengen doit être envisagée dans un contexte dépassionné, plus global et sur le long terme et non sur fonds de visées électoralistes. Un autre dossier alimente la pression en vue de son adaptation : celui de l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans cet espace, dont les critères techniques de Schengen ne suffisent pas à évaluer leur aptitude à y participer.