Alors que la Chambre des députés travaille depuis presque dix ans sur la réforme de l’autorité parentale, voici quelques histoires vécues, en bien ou en mal

Résiliences

d'Lëtzebuerger Land du 20.04.2012

D’un jour à l’autre, Georges1 n’avait plus droit au congé parental. Dès qu’elle a eu connaissance de son changement d’adresse, la Caisse nationale des prestations familiales lui a coupé net l’indemnisation pour son congé parental. Le jeune père exerçant une profession intellectuelle indépendante avait opté pour ce congé afin de pouvoir se consacrer à sa petite fille, qui n’était alors qu’un nourrisson. Mais, après des querelles avec sa partenaire et mère de l’enfant qui étaient devenues insurmontables, il a quitté le logement commun – et s’est retrouvé sans droits ni ressources. « C’est quand même incroyable, j’ai dû lutter pour avoir le droit de voir ma fille ! »

Selon la législation toujours en vigueur, l’autorité parentale d’un enfant né hors mariage incombe d’office à la mère, les parents qui se sont séparés en bons termes peuvent faire une déclaration par consentement mutuel à homologuer par un juge des tutelles sur leurs principes de partage de l’autorité parentale, ce qui peut déjà aller jusqu’à une garde conjointe, voire alternée. Mais en cas de rupture douloureuse, comme dans le cas de Georges, c’est le juge des tutelles qui peut imposer une médiation avant de définir, voire imposer un mode de partage de la garde. Finalement, ce père voit sa fille, qui a aujourd’hui deux ans et demi, tous les mercredi/ jeudi plus un week-end sur deux. En plus, il a la tutelle conjointe et participe aux décisions concernant l’éducation de l’enfant. « Mais tout demeure difficile, la moindre discorde, par exemple sur les dates de nos vacances, devient toute une affaire qui semble vite insurmontable. » Il ne peut pas comprendre que le principe d’une reconnaissance égalitaire des parents non mariés soit si difficile à mettre en œuvre sur le plan politique (voir ci-contre), « en attendant, le droit d’appréciation des juges est énorme ! »

Des cas comme celui de Georges, l’Ombudsfra fir d’Rechter vum Kand (la médiatrice pour les droits des enfants, ORK), Marie Anne Rodesch-Hengesch pourrait en citer à la pelle. « Surtout lorsque les enfants sont encore des bébés, les délais d’une instance de tutelle sont beaucoup trop longs : disons que l’enfant avait quatre ou cinq mois au moment de la séparation, la procédure durant au moins six mois, l’enfant sera complètement aliéné de son père après, explique-t-elle. Il leur faudra reconstruire une relation de fond en comble. »

Toute séparation implique sa part de déception, de souffrance, voire de rancunes. Or, lorsque un homme et une femme sans enfants se séparent pour des raisons qui leur appartiennent, il peuvent faire une scission nette, partir à mille kilomètres l’un de l’autre et refaire leur vie autrement. Avec des enfants, ce n’est plus possible. Nathalie en est à ce stade : tombée amoureuse d’un autre homme que le père de ses deux enfants, elle est partie s’installer ailleurs. Mais cet « ailleurs » devait forcément être assez proche de son ancienne maison, le couple ayant décidé de sauvegarder au maximum le cadre de vie des enfants en les laissant dans le même quartier avec les mêmes amis et la même école. « Avec les enfants, dit-elle, il faut se séparer tout en gardant un lien qui ne doit pas être rompu. Nous voulions bouleverser le moins possible leur quotidien, appuyer au maximum leur enracinement dans quelque chose qui leur soit propre. »

Intermittents du spectacle tous les deux, Nathalie et Michel avaient souvent dû laisser leur partenaire seul avec les enfants durant des périodes pouvant être assez longues, l’absence d’un des parents n’était donc pas vraiment une rupture inconnue pour les enfants. Leur consensus actuel, avant une décision définitive, est une garde alternée, une semaine sur deux. « Mais il est évident que pour les enfants, une semaine sur deux, ils sont dans le manque de l’autre parent, constate Nathalie. Ils vont se construire sur ce manque et développer leur résilience, leur capacité à vivre. » Pragmatique, l’ancien couple cherche à gérer la situation avec le plus grand respect possible pour le bien-être des enfants : ne jamais dire du mal de l’autre, ne pas prendre les enfants en otage ou en faire des messagers, respecter la parole de l’autre, peut-être encore davantage qu’avant, ne pas se focaliser sur l’argent...

« Mais c’est difficile, concède-t-elle, car dans un couple, on n’est pas toujours d’accord sur les principes d’éducation des enfants. Mais quand on vit ensemble, on discute pour trouver une conciliation. Après la séparation, il n’y a plus cette discussion. » Des questions banales peuvent alors vite déboucher sur des guerres de tranchées, comme : Les enfants suivront-ils l’enseignement religieux ou l’éducation morale à l’école ? Leur faut-il un portable dès l’école fondamentale ? Est-il vraiment nécessaire de leur acheter tout ce qu’ils veulent ? Quel sport ? Quels vêtements ? Quelles vacances ? Quels loisirs ?... « Moi, je conseille toujours en premier lieu aux parents de continuer à se consulter sur toutes ces questions, affirme Marie Anne Rodesch-Hengesch. On a aujourd’hui d’autres moyens de s’échanger que la discussion de vive voix : on peut aussi communiquer par e-mail ou par SMS pour s’accorder sur l’un ou l’autre point pratique. » Et avant toute tentative de médiation, elle exclut toujours d’office les questions matérielles.

Les cas absurdes de parents fortunés qui s’entretueraient pour une tétine ou un body qui manque dans la valise au retour de l’enfant, pour une pension alimentaire de quelques centaines d’euros ou la propreté de l’appareil dentaire sont foison dans l’expérience quotidienne de l’ORK. « Souvent, c’est parce que le couple n’a pas encore fait son deuil, n’a pas encore surmonté sa séparation que des futilités prennent autant d’importance, note Marie Anne Rodesch-Hengesch. Mais lorsque les parents se querellent autant, souvent très violemment et devant eux, les enfants commencent à culpabiliser ». C’est une des raisons pour lesquelles l’ORK plaide pour une médiation avant tout procès de divorce, afin que puisse se mettre en place un mode de fonctionnement serein avant le déballage du linge sale devant le tribunal. Car là, souvent, il ne s’agit plus, au final, que d’une histoire de sous.

« La plus grande avancée de la réforme, affirme Françoise Gillen, juriste à l’ORK, c’est que les deux parents sauront désormais qu’ils sont d’office conjointement responsables de leurs enfants. » Selon le principe que, même si ces deux personnes ne sont plus partenaires, elles demeureront parents. « Souvent, nous sommes extrêmement frustrés de ne pas pouvoir faire prendre raison à deux adultes par ailleurs tout à fait censés... Mais ça, aucune loi ne pourra le décréter ! »

Et ce n’est pas toujours une question de l’âge des enfants. Peter doit peu à peu reconstruire une relation avec sa fille adoptive, issue d’un premier mariage de la femme que Peter rencontra au milieu des années 1993, quand la gosse avait six ou sept ans. Il adopta Vanessa dix ans plus tard. « Durant quinze ans de sa vie, je participais à son éducation, nous avions une relation extraordinaire, et puis soudain, quand sa mère et moi nous sommes quittés, ce lien s’est rompu aussi. On ne m’a plus informé, plus demandé mon avis. Cela m’a vraiment heurté. » Les petites mesquineries peuvent être parfaitement gratuites, comme l’interdiction de la mère que la fille amène le chien, leur ancien chien commun qu’il adore, voir le père.

Aude, quant à elle, est une fille de divorcés, aujourd’hui elle-même mère de deux petites filles qu’elle élève avec son partenaire. « Je me souviens que, lorsque j’étais ado, mes parents ont encore tenté durant des années de recoller les morceaux de leur couple, mais j’ai trouvé ça insupportable de ne pas savoir où j’en étais. » Au point que ce fut elle qui encouragea sa mère à prendre sa vie en main, à déménager toutes les deux dans un appartement, pour qu’elles puissent faire le deuil – et commencer une nouvelle étape dans leurs vies respectives. Mais elle se souvient aussi que, si les considérations matérielles et même les questions de garde n’étaient pas vraiment un souci pour ses parents, c’était le fait d’être la confidente de sa mère, durant de longues discussions baignées de sanglots, qui lui pesait le plus, à elle, la jeune adulte qui commençait aussi à avoir ses premières relations amoureuses. « Après, je suis vraiment tombée dans un trou, une dépression qui a duré bien six mois durant lesquels je n’avais plus envie de rien faire... »

Cette expérience, estime-t-elle, aura changé durablement sa conception de l’amour et du couple. Parce que, en un quart de siècle, le concubinage, la séparation et le divorce se sont banalisés, il serait grand temps d’appliquer enfin ces changements sociétaux dans la législation.

1 Tous les noms des personnes ont été changés ; il s’agit de témoignages originaux recueillis par la rédaction du Land pour cet article.
josée hansen
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