L’Office national de l’enfance (ONE) est né sous une mauvaise étoile. Les causes en sont multiples : un texte de loi resté flou sur certains points, des règlements grand-ducaux d’application de la loi élaborés avec un énorme retard (d’Land du 2 janvier 2011), des attentes démesurées, les missions mal définies, un lancement mal préparé. Au départ, la loi sur l’aide à l’enfance et à la famille votée en 2008 devait métamorphoser tout le domaine de l’aide sociale aux familles et aux enfants, professionnaliser davantage le secteur qui emploie des milliers de personnes, coordonner une multitude d’organisations et de services fonctionnant souvent en électrons libres, adapter les institutions aux besoins et les encourager à se spécialiser dans un certain domaine de la prise en charge des familles.
Sur cette mission est venue s’ajouter l’attente que les interventions au niveau des familles pourront être déjudiciarisées, pour éviter au maximum les déchirures et traumatismes provoqués par le placement judiciaire en institution, jusqu’ici souvent l’unique réaction au désarroi des familles et des jeunes. Un changement de paradigme qui ferait enfin basculer la mentalité profondément paternaliste et normative de l’encadrement des familles vers un système plus respectueux des individus et de leurs attentes personnelles. Sans marcher sur les plates-bandes des juges de la jeunesse, même en cas d’appréciations divergentes des situations.
Un travail d’Hercule, ou de Sisyphe plutôt, sur lequel est venue se greffer une autre énorme tâche, celle du financement de toutes ces mesures. Pour chaque signalement, un dossier est ouvert avec un diagnostic et une évaluation des besoins spécifiques de chaque enfant. Ces projets socio-éducatifs et psychosociaux – plans de prise en charge individualisés – sont analysés en détail par les coordinateurs du projet d’intervention (CPI), puis validés ou ajustés par l’ONE en dernière instance, qui libère les fonds nécessaires. Trois ans après le vote de la loi, l’ONE est finalement entré en fonction en octobre 2011 et fait d’ores et déjà l’objet de critiques, notamment de la part des prestataires de services et du parti des Verts, qui ont remis en cause cette nouvelle administration lors d’une conférence de presse mardi. Ils émettent par exemple des réserves quant au pouvoir décisionnel du directeur de l’ONE, Jeff Weitzel, et au système de financement selon le régime de forfaits horaires, qui se fait, selon eux, au détriment du contact social. « Il est inadmissible que l’Office national de l’enfance contrôle, évalue et paie les mesures judiciaires, écrivent-ils dans leur communiqué de presse. Ce mélange de pouvoirs pose de graves problèmes déontologiques. L’ONE se doit d’être neutre et objectif et devrait surtout œuvrer sur le terrain en liaison avec les intervenants du secteur social. » Le directeur Jeff Weitzel ne peut confirmer l’irritation du secteur et précise que jusqu’ici, la plupart des projets d’intervention ont été validés par l’ONE, même s’ils ont parfois été « ajustés ». Nico Meisch, premier conseiller au ministère de la Famille, précise aussi que le budget de l’ONE (64 millions d’euros) n’est pas un crédit non-limitatif et que le directeur devait veiller à ne pas avoir tout dépensé en milieu d’année. « Ces trois dernières années, le budget a augmenté de dix à quinze pour cent, ce qui est énorme. Prétendre que cet argent a surtout servi à financer la mise en place d’une nouvelle structure administrative relève de la pure polémique, » ajoute Jeff Weitzel. L’ONE travaille avec quatre personnes.
L’enveloppe financière destinée aux institutions de placement des enfants et des jeunes fonctionne par forfait journalier. Il est clair que les prestataires ont intérêt à occuper du personnel jeune, dont le salaire est moins important par rapport aux professionnels plus anciens, plus expérimentés. Nico Meisch reconnaît qu’un prestataire de services diversifiés a plus de facilités pour répartir ce fardeau qu’une petite structure. « Cependant, les tarifs ont été fixés sur base de la situation existante, souligne-t-il, les montants alloués aux maisons n’ont donc pas fondamentalement changé. Par contre, là où nous devons encore trouver une solution, c’est au niveau du forfait des prestations horaires. Le système de calcul actuel est basé sur ce qui existait au niveau de la Santé et de l’assurance dépendance. Or, il s’avère qu’il y a de nettes différences avec le secteur social et nous avons amorcé un recensement avec les gestionnaires pour adapter les tarifs aux réalités du terrain. Ce qui nous manque encore, ce sont les arguments nécessaires pour prouver la nécessité d’adapter les tarifs. »
Une autre pierre d’achoppement est l’augmentation de la charge bureaucratique pour les professionnels du secteur social, obligés de rédiger régulièrement des rapports sur chaque enfant. « Je n’ai aucun problème avec le fait de devoir me justifier, confie un gestionnaire au Land, mais le temps passé à rédiger ces rapports est énorme et j’ai du mal à admettre que les éducateurs passent autant de temps à documenter leur travail avec un enfant, alors que je trouve qu’ils feraient mieux de s’occuper de lui à cet instant précis. » C’est un peu le discours des enseignants qui sont aussi d’avis que la charge bureaucratique les empêche de se concentrer sur leur core business.
Au niveau de la déjudiciarisation, il est sans doute trop tôt pour tirer des conclusions, mais selon le directeur de l’ONE, la situation est en train de se débloquer au niveau du Parquet, car certains dossiers lui ont été adressés pour trouver une solution non-judiciaire et régler ainsi des situations de détresse familiale. C’est déjà un début.