La maison Dolto, gérée par l’association Anne de la congrégation des Sœurs de Sainte Elisabeth, a ouvert ses portes le 1er septembre 2007. Il ne s’agissait pas seulement d’une nouvelle structure d’accueil pour les bébés jusqu’à trois ans, dont personne ne voulait ou ne pouvait s’en occuper – ils étaient jusque-là généralement hébergés à la clinique pédiatrique, pendant des années entières parfois. Le nouveau foyer était un des trois projets-pilotes pour tester la nouvelle manière de financement du secteur conventionné, prévu dans la loi sur l’aide à l’enfance, qui a d’ailleurs aussi instauré l’Office national de l’enfance (ONE). « Un des grands défis du nouveau mode de financement forfaitaire est une prévision budgétaire moins sure, dit la directrice de l’asbl, Anne Junk, comme nous ne pouvons pas toujours dire à l’avance combien d’enfants se trouvent à quel moment dans notre institution, il est parfois difficile de [-]jongler avec tous les paramètres. » Surtout que chaque enfant a, de par son vécu parfois difficile dès sa naissance, des besoins particuliers.
La maison Dolto travaille ainsi non seulement avec du personnel éducateur, mais aussi avec des infirmières en pédiatrie, des psychologues, des pédagogues, des aides-soignants et des aides socio-familiales. Une pédiatre passe au moins une fois par semaine pour des visites médicales. Certains bébés sont particulièrement fragiles, ils ont commencé leur vie par un sevrage – leur mère ayant été dépendantes de l’alcool, de drogues ou polytoxicomanes pendant la grossesse –, souvent ils sont nés prématurément. « Et la tendance est même à la hausse, note Anne Junk, l’année dernière, la maison Dolto a accueilli huit bébés sevrés. Je suis aussi d’avis que la consommation d’alcool pendant la grossesse est encore sous-estimée. Des séquelles sont notables, même si la mère n’a pas été une ‘vraie’ alcoolique. »
Mais même s’ils ont eu de mauvaises cartes en main dès le début, les bébés peuvent avoir une chance de s’en sortir. « Il est possible de redresser certains manques, précise Anne Junk, c’est pourquoi il est important de reconnaître les difficultés spécifiques dès le départ. » Sécurité et stabilité sont deux points essentiels qui font que les journées se déroulent de façon très structurée. C’est aussi la raison pour laquelle le personnel encadrant a arrêté d’agencer les groupes selon les âges des enfants. Il préfère aujourd’hui garder soudés les groupes, pour éviter de les perturber davantage par la séparation.
Car, paradoxalement, si beaucoup de bébés sont arrivés pour cause de délaissement, dans la maison Dolto, ils risquent l’overdose de contact humain. « Un enfant placé ici rencontre en moyenne 26 personnes, énumère Anne Junk, c’est dû au travail par roulement et à la prise en charge spécifique supplémentaire selon les besoins. » Au personnel s’ajoutent encore une quinzaine de bénévoles – quatorze femmes et un homme – qui jouent un peu le rôle de grands-parents. Ces interactions ne sont pas toujours sans poser problème, car des liens très intenses peuvent se créer avec les petits auxquels ils rendent visite une fois par semaine. « C’est en quelque sorte une ‚concurrence déloyale‘ par rapport au personnel qui travaille dans un cadre de roulement et qui n’a pas les moyens de s’occuper d’un seul enfant aussi intensément, note la directrice, il peut y avoir des conflits pour savoir quel rôle ils ont à jouer »
Et puis il y a les parents. Un peu plus de la moitié des 48 enfants qui ont quitté le service pendant ces quatre ans les ont rejoints. Le projet est conçu de telle manière que les parents, qui souhaitent apprendre à s’occuper de leur enfant sont encouragés et encadrés dans leurs efforts. C’est la raison pour laquelle les pièces de visite sont équipées d’une table à langer, parfois aussi d’un lavabo-baignoire pour donner le bain au bébé et ainsi apprendre les gestes quotidiens et prendre soin des plus petits. « Tout dépend de la volonté et des compétences des parents, précise Anne Junk, d’emblée, nous établissons un projet avec eux et nous en suivons le déroulement. » Avec l’entrée en fonction de l’ONE, ce sera à lui et aux services CPI (coordination de projets d’intervention) de reprendre cette tâche d’élaboration de programme et d’évaluer les efforts rendus.
Anne Junk parle de trois catégories de parents qu’elle rencontre dans son travail : Ceux qui se trouvent dans une situation sociale difficile, qui sont confrontés à des problèmes de dépendance, sans emploi, sans domicile fixe et qui ont eux-mêmes vécu des expériences traumatisantes. Ensuite ceux qui se trouvent aussi confrontés à des situations de détresse sociale, mais qui ont un lien stable avec leurs enfants. Ils se sont trouvés à un moment confrontés à une situation de crise et de débordement telle qu’ils ont été incapables de la gérer. Avec des moments de violence et la mise en danger de leurs enfants, ce qui a provoqué le placement. Finalement, il y a les parents négligents, qui ont pratiquement abandonné leurs enfants dans une carence affective et hygiénique.
Comme la plupart de ces enfants sont placés à la maison Dolto par le juge de la jeunesse, c’est aussi à lui de décider si l’enfant peut en sortir pour rejoindre sa famille ou un autre foyer. Jusqu’ici, un tiers des enfants qui n’ont pas pu repartir avec leurs parents a été transmis dans une famille d’accueil, un autre tiers est allé vers la famille élargie – grands-parents, tantes etc. – et un tiers a été aiguillé vers une autre [-]institution. La directrice compte d’aileurs aménager six places supplémentaires dès l’année prochaine pour répondre aux besoins.