Personne ne sait combien ils sont – ou plutôt « elles » sont, car ce sont majoritairement de jeunes filles qui voyagent en tant que personnes au pair. La dernière statistique officielle date de 2002, le ministère du Travail et de l’Emploi comptait alors exactement douze personnes placées au pair, essentiellement ressortissantes d’autres pays européens. Mais cette année-là, l’État luxembourgeois dénonçait l’accord européen sur le placement au pair avec effet au 24 mars 2003, suite à un jugement du tribunal administratif qui contestait l’interprétation restrictive que faisait le grand-duché de cet accord élaboré en 1969 par le Conseil de l’Europe, notamment en ce qui concernait les pays dont devaient être originaires les filles au pair. Le recours avait été instigué par une ancienne « artiste de cabaret » originaire d’un pays tiers qui, à l’expiration de son autorisation de séjour, avait conclu une convention de placement au pair avec un couple luxembourgeois. Craignant que, suite à ce jugement, le mode au pair ne devienne un « subterfuge pour prolonger le séjour à Luxembourg », le ministre du Travail de l’époque, François Biltgen (CSV), a dénoncé l’accord européen, qui n’aura eu cours que durant une douzaine d’années au grand-duché. La crainte d’un abus à l’immigration a une nouvelle fois été plus grande que la volonté de protéger les droits de la personne concernée, qui, a fortiori, est par définition jeune et vulnérable.
Depuis, c’est donc le droit commun qui s’applique dans le domaine des séjours au pair, la personne ou la famille qui accueille un jeune dans son foyer devant agir en tant qu’employeur lambda vis-à-vis d’un employé. On est retombé dans une zone d’ombre où ni les droits, ni les devoirs des deux parties en jeu, la famille et la personne au pair, ne sont définis. Conscient de cette zone de non-droit, et avant de quitter le ministère en 2009, François Biltgen avait encore demandé à sa collègue de parti, la ministre de la Famille Marie-Josée Jacobs de se saisir du dossier et d’élaborer un nouveau cadre légal pour les au pair, volonté coulée dans le programme gouvernemental pour la période 2009-2014. La ministre vient de déposer, le 14 septembre dernier, le projet de loi n° 6328 « sur l’accueil de jeunes au pair », projet de loi de huit articles seulement que la Chambre des salariés a déjà avisé très favorablement.
Le texte définit le séjour au pair comme étant en premier lieu un séjour linguistique ou culturel, la participation aux tâches journalières dans la famille, comme le ménage, le jardinage et la garde d’enfants, ne pouvant être « le but principal du séjour ». Le statut spécifique, pour lequel un titre de séjour « au pair » sera introduit dans la législation sur l’immigration, sera fixé par une « convention d’accueil » à signer entre la famille et le jeune avant son arrivée au Luxembourg et qui énonce les conditions de ce séjour. Le jeune âgé entre 17 et trente ans, qui devra passer des tests de dépistage de maladies contagieuses et aura obligatoirement un niveau d’études élevé, type bac (pour éviter, là encore, la « substitution d’emplois »), pourra venir pour une durée maximale d’un an dans une famille qui aura au moins un enfant en âge d’être scolarisé dans l’enseignement fondamental. Elle lui offrira une chambre individuelle, la nourriture, les assurances sociales et responsabilité civile ainsi qu’un « argent de poche » équivalent à quelque 430 euros mensuels. En contrepartie, le jeune participera aux tâches courantes durant au maximum cinq heures par jour et trente heures hebdomadaires. Le projet de loi fixe en outre son temps libre (au moins une journée entière et trois soirs par semaine) et impose à la famille des conditions de moralité ou l’aménagement de l’horaire du jeune de manière à ce qu’il puisse suivre les cours de langues ou de perfectionnement culturel qui devraient, selon l’exposé des motifs du projet de loi, être l’objectif premier d’un tel séjour.
Même si, en réalité, les raisons qui motivent une famille, ou, souvent, un parent isolé, à chercher un jeune au pair, sont souvent en premier lieu de leur faciliter la garde des enfants. Depuis que, avec la loi de 2007, l’activité de l’assistance maternelle est passée sous le contrôle de l’État, la garde au pair est une des dernières zones grises, souvent même de travail au noir, de ce secteur. Avoir une personne qui puisse prendre en charge les enfants tôt le matin, pour les repas à midi et le soir à la sortie de l’école, les accompagner à la maison et dans leurs devoirs est une aide vitale pour les parents qui travaillent. Pour éviter que le jeune ne se retrouve en baby-sitter à plein temps, la nouvelle loi imposera aux parents de jeunes enfants, qui ne sont pas encore scolarisés, de prouver que la garde sera assurée ailleurs.
Pour beaucoup de parents de la communauté immigrée, accueillir un jeune compatriote au pair dans son foyer peut aussi être un moyen de transmettre la langue aux enfants ou de garder un lien supplémentaire avec son pays d’origine, valoriser l’échange ou soutenir un ami ou un proche qui désire connaître un autre bout du monde. « Nous supposons qu’il y aura une très grande demande, » estime Georges Metz, le directeur du Service national de la jeunesse, qui sera chargé de la coordination des conventions d’accueil, de l’agrément à donner aux familles, de l’information et du suivi des jeunes au pair. Déjà maintenant, les Centre informations jeunes enregistre en moyenne trois demandes par semaine de familles désirant accueillir des personnes au pair. Le projet de loi est largement inspiré du texte sur le service volontaire, qui attire quelque 200 jeunes par an, « et je crois que les au pair seront au moins aussi nombreux, sinon même plus nombreux, » estime Georges Metz.