C’est la première exposition monographique dans une galerie luxembourgeoise d’Hisae Ikenaga. La plasticienne mexicano-espagnole (née à Mexico en 1977), qui vit entre Luxembourg, l’Espagne et la France, a un parcours de formation tout aussi international : l’Espagne, le Japon, le Mexique. Au Luxembourg, Elle a remporté, le prix LEAP 2020 qui récompense un travail novateur de création contemporaine et celui d’Art in Situ de l’Ordre des architectes (OAI) en 2021. Dans ce bâtiment de facture architecturale dépouillée, sa démarche s’intitule Reproduction d’éléments : on pourra voir (à partir de janvier 2022) de faux interrupteurs, extincteurs, mains courantes et des corps de radiateurs à côté des portes ou accrochés tels des tableaux aux murs et au garde-corps de l’escalier.
Gaston Bachelard, le philosophe dont l’écrit La poétique de l’espace un incontournable dans les écoles d’architecture depuis sa parution en 1958, est cité à propos dans le texte de la galerie Nosbaum Reding qui introduit Industriel-viscéral. Le centre de la pièce principale de la rue Wiltheim est occupé par Rack. Montants en tubes de fer chromé et planches en bois de chêne, sont les éléments usuels d’une étagère sur laquelle on pose des objets de la vie courante. Ici commence la poésie d’Hisae Ikenaga : si des gobelets en céramique vernissée sont bien posés sur un plateau de service, s’y trouve également une sorte de tuile de céramique crue, comme ci elle n’avait pas encore été travaillée et sur l’étagère du dessus est posé un objet comme on en dispose dans son intérieur pour son effet esthétique – à y regarder de près, on verra qu’il s’agit d’un pied de lit en bois chantourné fabriqué en série. À ses rondeurs font écho des viscères de céramique blanche, suspendus aux montants industriels chromés.
Quatre étagères de cet ordre non utilitaires sont accrochées au mur de gauche et deviennent des tableaux. Le mur de droite est entièrement occupé par les collages d’intérieurs, Only wood series. Dans des pages de magazines, mises sous Plexiglas brillant comme ces publications de luxe, posées telles des petits tableaux précieux sur des réglettes de chêne, Hisae Ikenaga a découpé les assises de chaises et sur les tables dressées, les assiettes, les couverts et les plats, soit ce pour quoi est faite une chaise en bois – s’asseoir – et de la vaisselle en céramique – manger.
On regrette qu’il n’y ait pas dans l’exposition – les pièces exposées datent toutes de cette année, mais la plasticienne s’est engagée sur cette voie depuis 2016 – quelques réalisations de cette même année, qui, de manière plus imagée, ressemblent à des tables de pique-nique pliables, transformées en objets 2D accrochés à l’envers au mur, qui incluaient ici un torchon et des gants de cuisine, là un niveau à bulle ou une tenaille, un cintre, une paire de chaussettes. L’idée qui rendait ces objets du quotidien efficacement incongrus, on le retrouve ici dans les collages des Décompositions en douceur (tubes chromés et canapés enchevêtrés). Un ironique passage en revue de la production industrielle, du Bauhaus aux fabricants de design contemporains.
Industriel-viscéral vous prend cependant littéralement aux tripes dans la deuxième pièce de la Projects Gallery. On ne sait si on se trouve dans le laboratoire d’un pâtissier, d’une industrie pharmaceutique, si on va assister à une intervention chirurgicale ou à une autopsie post-mortem. Ici, Hisae Ikenaga a disposé sur des tables en acier inoxydable et des plateaux en acier, une accumulation de bocaux et de pipettes en verre, des outils et des céramiques émaillées et pigmentées qui auraient leur place aussi bien en cuisine que dans une salle d’opération ou sur un site archéologique. Cette installation est une fantastique pièce (au sens de l’installation) ou une pièce fantastique (au sens du lieu) pour un collectionneur d’aujourd’hui, comme le furent dans le passé les cabinets de curiosités.