Pari risqué auquel s’attelle le FRAC Lorraine que celle de cette exposition, À plusieurs visible jusqu’au 15 août qui privilégie le multiple Commissariat et n’entend pas imposer de ligne directrice franche. Ou plutôt la seule ligne directrice est celle de se laisser guider dans le dédale des œuvres sans qu’un thème, précis, ne domine. Connu pour sa ligne curatoriale audacieuse, le 49 Nord 6 Est- FRAC Lorraine poursuit avec Fanny Gonella un ambitieux travail de réflexion sur le commissariat d’exposition. Comment les œuvres sont-elles montrées ? De quelle manière le spectateur peut-il se les approprier ? L’histoire de l’art n’est-elle pas trop ethno-centrée qui laisserait difficilement la place à d’autres discours, d’autres récits ?
Des récits de la lune
Des récits justement, cette exposition en a à foison. Elle en regorge. Comme l’œuvre proposée par Tabita Rezaire, Satellite Devotion (2019) où de multiples récits sont convoqués. Forme circulaire que cette installation qui fait se croiser des modes d’appropriation de ce monde, de nouvelles manières d’y donner un sens par ses récits convoqués : druidisme, premier culte païen à être reconnu comme « religion » au Royaume-Uni, yoga kundalini ou animisme. Ces différents récits sous forme de vidéos voyagent et construisent une pratique hétérogène des croyances. Ils permettent aussi d’aborder la question des origines et de formuler un discours ouvert sur le monde. L’installation vidéo travaille la lune et la manière dont on la perçoit selon différentes croyances. Tabita Rezaire est l’une des artistes invitées par le FRAC Lorraine, avec Tarek Lakhrissi et Josèfa Ntjam, à investir de manière collaborative les cimaises du lieu d’exposition. L’expérience de Satellite Devotion est pensée comme une immersion : « Nouvelle lune/ Sentez-vous ancré dans la terre en vous asseyant ou en vous allégeant confortablement/ Et accueillez l’énergie de la nouvelle lune/Fermez les yeux et respirez lentement et profondément par le nez/ Détendez votre corps, votre esprit et votre cœur/ La nouvelle lune marque le début du cycle lunaire ». Un texte intitulé Nouvelle lune accompagne le travail de la plasticienne.
Plus tôt dans le parcours d’exposition, une installation sonore où la voie est laissée à l’imagination quant aux possibles du son, est présentée. Le possible peut alors être l’écho, le bruit en sourdine, la danse des vagues. L’absence de représentation autorise un décentrement intrinsèque à l’instar de beaucoup des œuvres incluses dans le parcours. Le son condense, par l’imaginaire, l’image. Au début du parcours également, le film Aquaphobia interroge la question des croyances au travers d’un rituel (une transe?) sur fond bleuté. L’exposition fait également voisiner une multiplicité de pratiques artistiques.
Saint Michel terrassant le Dragon
Une autre force d’À plusieurs est de parvenir à montrer ces pratiques plurielles sans qu’elles ne deviennent un rébus pour le spectateur, une énigme que seuls les détenteurs d’un savoir artistique pourraient appréhender. Peintures dans lesquelles s’ordonne une autre « référentialité », décentrée d’une histoire de l’art univoque. En cela se situe bien le dessein de cette exposition : À plusieurs est un titre en recouvrant d’autres. Une pluralité d’éthos, de pathos, de logistiques et de topos (im)possibles – en fugacité et fugitivités immuables, à la fois pérennes, soli(tu)des et précaires » relève Mawena Yehouessi, artiste invitée par Josèfa Ntjam. On notera la façon dont les serpents s’entrelacent dans son travail comme autant de fils tissés vers le spectateur, vénéneux, quand la toile d’Ibrahim Meïté Sikely travaille une figuration beaucoup plus explicite qui n’en demeure pas moins frappée d’étrangeté avec la persistance de ce bleu outremer.
D’autres peintures exposées sont une invitation au voyage au sein des mythes et croyances, les revisitant de façon contemporaine, pour mieux les interroger comme cette référence au combat de l’archange Saint Michel contre le Démon évoqué dans l’Apocalypse de Saint-Jean où deux femmes et l’une en particulier tenant une espèce de pique comme lorsque le torero tente de blesser le taureau dans ces scénographies ritualisées de la corrida, prend la place de l’archange. Réenchanter notre regard et le décentrer. L’exposition À plusieurs y parvient pleinement.