Sur le gazon, on voit encore les joints des plaques précultivées venant d’êtres posées. Les quelques hôtes qui ont osé y mettre un pied ont failli se noyer dans la terre fraîchement remuée. Le buis du petit jardin est rigoureusement taillé en formes géométriques ; la fontaine d’eau est tellement propre qu’elle semble irréelle. Des dizaines de policiers attendent à l’entrée du parc privatif de la Villa Vauban, d’autres, plus discrets, sont alignés avec leurs véhicules de surveillance derrière le bâtiment, dans le parc municipal.
Une inauguration d’un musée en présence du couple grand-ducal et, qui plus est, de la reine des Pays-Bas, est un événement au protocole strict et aux exigences de sécurité disproportionnées – le public était prié de quitter les lieux lors de la cérémonie officielle et pouvait suivre les discours sur deux écrans de télévision dans une tente devant la porte. Ironie de l’histoire : alors que les socialistes venaient de donner, la veille, leur accord au paquet de mesures d’austérité proposé par leurs dirigeants et que les syndicats célébraient le travail pour cette journée internationale du 1er mai, mettant en garde devant le « démantèlement du système social » qui attendrait le pays, le Villa Vauban célèbre l’âge d’or (de la peinture hollandaise, au XVIIe siècle), avec son exposition inaugurale The Golden Age Reloaded.
La photo qui fit le tour de la presse dès lundi (ci-dessus), c’était un portrait de groupe avec chapeaux – le couple grand-ducal, la reine Beatrix, les responsables politiques municipaux et nationaux, la conservateure des deux musées de la ville et le directeur des collections du Rijksmuseum devant un autre portrait de groupe, peint 365 ans plus tôt par Govaert Flinck, La compagnie du capitaine Albert Bas et du lieutenant Lucas Conijn – belle mise en abyme dans cette section sur les goûts et la volonté d’afficher son rang social de la société bourgeoise. Cette majestueuse huile sur toile de presque 3,5 mètres de hauteur, est sans conteste la pièce maîtresse de l’exposition inaugurale, de par son importance historique et ses qualités esthétiques, mais aussi plus prosaïquement pour ses dimensions et sa valeur : c’est la première fois de son histoire qu’elle quitte le Rijskmuseum d’Amsterdam, où elle est habituellement accrochée à côté de la Ronde de nuit de Rembrandt.
Ce n’est que parce que le Rijksmuseum est en travaux que ces 34 toiles ont pu intégrer l’exposition à la Villa, à côté des 80 œuvres issues de ses propres collections (Pescatore, Lippmann, Dutreux). Et ce notamment grâce aux bonnes relations personnelles de Danièle Wagener avec Taco Dibbets du Rijskmuseum, qui vit samedi dans cette exposition une grande réussite – « It looks wonderful ! ».
À y regarder de plus près, une collaboration entre les deux institutions découle pourtant tout naturellement d’une approche similaire – bien que la Villa Vauban ne puisse en rien concurrencer le million d’œuvres de la collection hollandaise : tous les deux tentent de dépoussiérer la présentation de l’art classique avec une politique d’expositions certes rigoureuse, mais des programmes pédagogiques un peu décalés, originaux – art dating, visites Vamos a la Villa avec collation de tapas, cours de yoga, conférences sur les tulipes hollandaises ou la restauration de tableaux à la Villa Vauban par exemple. Si jusqu’ici, la Villa Vauban avait toujours cette image de lieu d’exposition un peu désuet, avec ses expositions monographiques très sages, voire ennuyeuses et ces éternels culs de vaches dans les escaliers, on peut dire que la réfection de la partie historique est une réussite : grand respect du patrimoine bâti du XIXe siècle et du parc environnant par les architectes Diane Heirend [&] Philippe Schmit, rigueur dans la présentation des tableaux (jusqu’aux cartels assortis à la couleur des murs) et dans le système d’éclairage, beaucoup d’espace pour respirer...
L’originalité de ce nouveau musée toutefois, sa grande qualité aussi, c’est son annexe contemporaine, avec sa peau en laiton perforé, une bâtisse très sculpturale, qui se love à l’angle nord-est de la ville, partiellement en contre-bas, donnant plutôt sur le parc. Elle ouvre des perspectives monumentales, comme cette descente de l’escalier vers les belles galeries d’exposition en sous-sol ou le couloir lumineux entre le bâtiment et le mur de la forteresse dégagé durant les travaux. Et elle fonctionne selon une évidente dialectique ouvert/fermé : sombre à l’intérieur par le choix minimaliste des matériaux, notamment le béton architectonique, bouchardé pour un aspect plus précieux, cette annexe s’ouvre aussi avec de grandes baies vitrées vers les espaces verts devant et derrière le bâtiment, transformant l’espace pédagogique par exemple en un havre de paix, très accueillant et lumineux. Plusieurs petites aires de repos à travers la Villa invitent à la contemplation, peut-être aussi pour combler l’absence d’un lieu de restauration.
L’exposition à proprement parler est très didactique, organisée en huit sections, des peintures de genre, en passant par les natures mortes et les peintures paysagères (ah, les revoici, les innombrables vaches que semble avoir tant affectionnées Jean-Pierre Pescatore...) jusqu’aux portraits de la société bourgeoise, sans conteste la partie la plus intéressante de l’exposition. Autre originalité : dans son désir de vulgariser la connaissance de ce patrimoine historique et d’inviter le visiteur à « regarder derrière les tableaux », la Villa consacre deux sections très bien faites au processus de restauration de tableaux et à leur encadrement.
« Je suis une directrice de musées extrêmement chanceuse, s’était réjouie Danièle Wagener lors de l’inauguration. C’est exceptionnel de pouvoir planifier et ouvrir deux musées en une carrière ! » Il se pourrait pourtant qu’elle ait désormais aussi à juguler les difficultés budgétaires qui attendent les institutions culturelles après leur « golden age » des quinze dernières années.