"Op der Schwell vum drëtte Joerdausend, an deene Joren, wou d'europesch Länner zesummeréckelen, duerf et äis net un Zukunftsvisioune felen, déi awer hir Wuerzelen an der Vergaangenheet sollen hunn. E Vollek, dat seng Geschicht net kennt a respektéiert, ka seng Zäit net begräifen an der Zukunft keng Form ginn."
Extraite du texte de présentation, cette déclaration de principe résume assez bien l'esprit de Millenium Lieux de Mémoire et d'Avenir. Le pari de l'album était audacieux : proposer, en deux CD, un itinéraire musical à travers les douze cantons luxembourgeois. Pari réussi grâce à une sélection parfaitement judicieuse, et ce en dépit de l'ampleur du programme imposant forcément des choix difficiles. Pari gagné grâce surtout à la qualité des exécutants : Musique militaire grand-ducale, Ensemble vocal du Luxembourg, Brass Band d'Esch-sur-Alzette, Luxembourg Percussion, Chorale Muselfénkelcher Grevenmacher.
Forts de leur entrain communicatif, vibrants de sincérité, tous conjuguent leurs talents pour faire de ce panorama varié une sorte de défense et illustration de la musique nationale. Confirmant ainsi ce que nul n'ignore, à savoir qu'en ce pays, l'art musical est plus qu'une consommation : une éthique, seul gage d'une authentique culture musicale dont l'excellence a de quoi faire pâlir d'envie plus d'une grande nation voisine.
Précisons d'emblée que cette compilation s'adresse en priorité au grand public et qu'elle a été conçue initialement pour illustrer un luxueux album gros de 224 pages assorties de 209 photographies. Ce qui n'empèche pas le mélomane exigeant d'y trouver son compte. Encore que le parcours s'apparente davantage à un survol qu'à une exploration en règle. Seul, finalement, le puriste risque de rester quelque peu sur sa faim.
Cette réserve mise à part, voici une réalisation discographique qui constitue une remarquable initiation à l'univers musical luxembourgeois qu'elle a le mérite de faire apparaître dans toute la fraîcheur de ses sources vives, dans sa richesse d'expression variée, dans l'authenticité de sa saveur propre. Dès la première étape (Clervaux), l'auditeur découvre une oeuvre robuste aux couleurs pertinemment jazzy (Family of man), signée Paul Dahm. Portrait musical du photographe américain d'origine luxembourgeoise Edward J. Steichen, le morceau aux réminiscences ravéliennes donne le ton en s'inscrivant pleinement dans l'esprit constructif et la carrure solide de la plupart des opus du recueil.
De Clervaux à Wiltz. Dans un registre différent, Abend im Ösling de Jos Kinzé (texte d'Albert Hoefler) est l'évocation bucolique d'un paysage ardennais dans sa grande et prenante beauté naturelle. L'ambiance est crépusculaire, les couleurs sont automnales, les sonorités moelleuses. Les voix au timbre comme buriné par le climat du pays qu'elles chantent dégagent une émotion qui, dès la première audition, laisse une trace indélébile. Kinzé fait preuve ici d'un sens mélodique digne d'un Mendelssohn. C'est à coup sûr l'une des pièces les plus réussies de l'anthologie : par sa facture classique d'une perfection intemporelle, par sa touchante naïveté, par son lyrisme déchirant, par son langage délicat aux fines résonances debussystes. On est loin ici du simple pittoresque. Attendrissant.
Dans Diekirch Events 44-45, Pierre Nimax Père commémore un épisode tragique de la Seconde Guerre Mondiale dont la ville nordiste fut le théâtre : l'offensive Rundstedt. La tonalité de cette fresque épique est belliqueuse ce qui est de bonne guerre ! -, mais au bout du combat il y a la victoire, la joie de la libération et une déclaration d'amour enflammée à la Hemecht qui finit par avoir raison de la haine qu'inspire l'occupant. Morceau de bravoure dégageant une impression de force, plus primitive que raffinée, servie par une orchestration riche, fortement cuivrée et soutenue par une percussion imposante (avec rafales de mitrailleuse et carillon de cloches).
Vianden est célébrée par Pierre Nimax Fils dans une composition entrelaçant Ut queant laxis de Gui d'Arezzo et Stella de Victor Hugo pour servir de toile de fond à une térébrante méditation de l'homme seul face à son destin (récitant : Patrick Hastert).
Partie des rivages post-romantiques, l'évocation d'Echternoach par Jean-Marie Kieffer sur un texte de Jean-Claude Degrell explose bientôt dans une santé revigorante, celle du musical Oralabora écrit à l'occasion du 1 300e anniversaire de la cité abbatiale, où chants profanes se mêlent aux chants sacrés de la célèbre procession dansante. Le tout avec un sound qui n'est pas sans rappeler celui d'un Andrew Lloyd Webber.
Autre invité de marque : Marcel Wengler dont on admire l'écriture fine et incisive dans Lieu de mémoire 2000 Mersch (texte : Pir Kremer ; soliste : Carlo Hartmann).
À l'étape suivante, Rodange, on retrouve Jos Kinzé. Sur un émouvant texte de Néckel Bach, Elchert 1637 met en musique un épisode particulièrement noir de la Guerre de Trente Ans. Le tempo est mesuré, l'atmosphère est au recueillement. Des voix du choeur mixte émane une forte charge affective.
Mais la mélancolie sera de courte durée. Avec Luxembourg Ville fortifiée de Marco Pütz, le ton vire, en effet, résolument à l'optimisme. Cet hymne à la liberté, lequel, au passage, se permet de faire un clin d'oeil à Beethoven, est une page d'une étonnante prégnance rythmique culminant dans un fugato conclusif joué fortissimo.
Le canton de Capellen est illustré par les Litanies de Notre-Dame. Pour Carlo Hommel, l'occasion, en revisitant le plain-chant, de faire l'éloge de la paix... et de la splendide église baroque de Koerich.
Interprété par le Brass Band d'Esch-sur-Alzette, Schmelz de Roland Wiltgen a le souffle rauque et l'éclat dantesque des hauts fourneaux de la métropole du fer. Peinture aux couleurs crues, d'un réalisme saisissant.
On renoue avec un ton plus amène et des manières plus avenantes dans Remich de Jean-Paul Frisch. La partition respire la joie de vivre des habitants de cette "région extrêmement sympathique" (Frisch) où fut signé le fameux traité de Schengen.
Le périple s'achève à Grevenmacher avec une composition qui marie voix et percussions. Le titre, Den neie Feierwon, fait allusion à une phrase qu'a prononcée le Grand-Duc Héritier Henri lors du lancement d'Astra. Pour évoquer ce "monument du futur", Paul Mootz mise sur une musique d'avant-garde, sans renier pour autant ses racines qui plongent dans le passé. Une musique "de mémoire et d'avenir" qui confère tout son sens au titre générique de l'album. Ainsi la boucle est bouclée. Ou presque. Le mot de la fin revenant à un voisin, le compositeur belge André Waignein, dont Mir vu bausse gekuckt récapitule les douze lieux de mémoire à travers le prisme d'un observateur extérieur.
Voilà un programme agréable, abordable par tous mais sans faute de goût, pour se mettre dans l'ambiance d'un voyage d'agrément. Ici, pas de soliste au titre ronflant pour guider le voyageur, aucune démonstration de virtuosité, mais l'estampille ineffaçable de vrais artistes épris du beau, porte-parole d'un peuple attaché à son pays et à sa musique. Cet album en forme de reportage nous en fournit un témoignage attachant.
Image aérée et limpide, ne manquant ni d'ampleur ni de brillant ; minutage : 41'19'' (I) et 40'10'' (II) ; livret d'accompagnement trilingue (luxembourgeois-allemand-français) fort bien documenté ; édité par le ministère de la Culture, avec le concours du Service des sites et monuments nationaux et de l'Union Grand-Duc Adolphe, le double coffret Millenium Lieux de Mémoire et d'Avenir bénéficie du soutien financier de Totalfina. II est en vente chez les disquaires au prix de 700 francs.