Le titre choisi ici rappelle celui du roman d’Alejo Carpentier, Concierto Barroco, paru en 1974 (et nous-mêmes nous nous alignons au retour en arrière). Et rien de plus passionnant que de suivre le richissime seigneur mexicain (ils viennent d’ailleurs aujourd’hui) dans la Venise du XVIIe siècle, sur des chemins où l’écrivain cubain prend plaisir (et le nôtre ne fait pas défaut) à faire se heurter, s’enchevêtrer les chronologies. La musique, dit-on, forme sublimée du temps, mène le récit.
Plus question dès lors de Relegation, de bannissement, comme le suggère l’autre titre, celui donné par Catherine Lorent à son installation, son environnement dans le pavillon luxembourgeois, à la Ca’ del Duca. Environnement visuel, car il le faut bien dans une biennale consacrée aux arts plastiques ; plus encore sonore, et c’est toujours la musique qui mène. Ou alors disons que les deux, la vision et l’audition pour le visiteur, y sont à égalité, justement dans la plus pure tradition baroque, et celle-là commence par la profusion.
Dès l’entrée, étroit couloir, passage obligé entre des dessins d’une vivacité qui tient de l’automatisme et de bien présentes caisses noires de résonance. Et ce n’est pas des violons qui pendent du plafond, mais des guitares électriques, contempora-néité oblige ; la musique classique, du moins son image, c’est de l’autre côté, vers le canal, trois pièces, trois pianos à queue, on conclura qu’il n’est pas de petits moyens pour célébrer les noces de ce qu’on appelle high et low, culture classique, et culture rock et pop. Pour cette dernière, une belle photographie du catalogue, tant soit peu anachronique quand même, montre l’artiste, guitare à la main, à l’entrée du modeste palais, qui lui est pris dans des couleurs phosphorescentes. Le qualificatif vaut pour la musique de Catherine Lorent, elle s’avère toutefois tout aussi à l’aise au piano, on nous précise d’ailleurs que les trois pianos, de même que les guitares, sont préparés d’EBows, procédé propre à créer « une atmosphère obsédante qui irrigue toute l’exposition ».
Chose vérifiable les journées de la preview, le soir du vernissage, par un public suivant les incantations plus ou moins rauques de Catherine Lorent. Les basses fai-sant vibrer les murs, encore heureux que les pilotis aient tenu. D’une salle à l’autre, avec une note tantôt plus géométrique, tantôt plus ludique, de grandes peintures pendent du plafond, au-dessus des pianos, ciels d’une tradition renouvelé qu’on déchiffrera à la lecture du texte de Conny Becker.
Baroc revisited, ou pour employer l’orthographie de Catherine Lorent, Ba-Rock, tel pourrait se nommer le programme qui se joue jusqu’au 24 novembre à la Ca’ del Duca. Et à partir du jour où Catherine Lorent et ses complices auront quitté leslieux, ce sera le visiteur lui-même, par sa seule présence, son passage, qui dé-clenche le son.
Dans les toutes dernières lignes du roman de Carpentier, toutes sortes d’instru-ments éclatent à la fois, derrière la trompette de Louis Armstrong ; « nouveau concert baroque auquel par un prodige inattendu vinrent se mêler, tombant d’une lucarne, les heures que sonnèrent les Maures de la Tour de l’Horloge ». De toute façon, à Venise, il est toujours des cloches, des carillons, pour venir étoffer la pro-position musicale, aussi serrée, aussi assourdissante soit-elle.