Sophie Bélair Clément, artiste en résidence au début de l’année, n’a pas voulu être filmée : alors elle parle en voix off, et la caméra fixe sans cesse ses mains, qui dessinent des esquisses dans un petit calepin. Parfois, son partenaire Julien Maire, qui l’a assistée dans la réalisation de son exposition Des formes d’égale résistance dans l’Aquarium du Casino, intervient, soudain une voix masculine, dont on ne voit pas davantage le visage. L’entretien avec les artistes est entrecoupé de plans sur les œuvres installées dans ce project room, des plans larges classiques, mais aussi des gros plans absolument étonnants, laissant percevoir la matérialité de ces stores en carton, dont on ne soupçonne la fragilité que de très près. À l’arrière-fond, la si typique tour de la Spuerkeess se confond en un flou abstrait, image d’Épinal du Luxembourg banquier qui semble si lointain dans cet espace protégé. « Moi-même, quand je regarde les images qu’ont filmées Thierry Besseling et Yann Tonnar, je découvre encore des choses que je n’avais pas vues en visitant l’exposition, » raconte Bettina Heldenstein, responsable de l’InfoLab et du Casino Channel au Forum d’art contemporain de la rue Notre-Dame. D’autres artistes se prêtent plus volontiers au jeu, certains sont d’excellents médiateurs de leur propre travail, encore d’autres, comme Elodie Huet, n’ont pas voulu parler, son texte est inscrit à l’écran.
Discrètement, sans grand tam-tam, Bettina Heldenstein a ainsi constitué – « avec Laure Faber, qui était l’instigatrice de l’idée, inspirée du Tate Channel, » insiste-t-elle –, une base de vidéos d’artistes aussi utile qu’unique dans le paysage des musées luxembourgeois. L’idée de constituer une documentation vidéo des expositions a débuté avec l’existence du Casino en tant que Forum d’art contemporain, dès 1996. Durant les dix premières années, c’est Mariette Schiltz qui réalisait cette documentation, très low profile (et low budget), car essentiellement destinée aux besoins internes du Casino. En 2006, pour les dix ans du Casino, la compilation fut éditée en coffret DVD. Mais qui allait les regarder ?
Les réflexions sur comment ouvrir les archives du Casino, de plus en plus riches, mais réservées au personnel et aux professionnels qui en faisaient la demande, aboutissant à l’ouverture du centre de documentation public InfoLab en 2009, et celles sur la documentation des activités de la maison, allaient désormais de pair. Yann Tonnar avait entretemps commencé à tourner de petits clips, comme des bandes-annonces pour les expositions, postées sur le site internet du Casino. Et s’il développait ce côté documentation vivante, et que ces petits films devenaient accessibles en libre-service sur les ordinateurs de l’InfoLab ? « Peu à peu, nous avons vu notre public terminer leur visite dans cette salle, se réjouit Bettina Heldenstein. Ils y consultent les catalogues ou les magazines, mais aussi les vidéos, pour s’informer davantage sur l’exposition qu’ils viennent de voir. Elle prend donc exactement cette fonction de foyer qui nous manquait jusque-là. »
Et si les films devenaient aussi accessibles à un public plus large, voire international, comme promotion d’une exposition, mais aussi comme matériel de travail sur les artistes, pour des chercheurs, curateurs, artistes... ? Depuis la mise en ligne du nouveau site, fin 2012, ils sont facilement trouvables sur casino-luxembourg.lu, rubrique Casino Channel, mais aussi par la plateforme de vidéos Vimeo par exemple. On y a désormais accès à des interviews avec les artistes qui ont exposé ou travaillé au Casino, si nécessaire avec des sous-titrages anglais, comme pour les Luxembourgeois ayant participé l’année dernière à l’expérience Atelier Luxembourg – Making of. D’autres rubriques sont des entretiens avec les curateurs et commissaires d’exposition, qui sont surtout intéressants pour les expositions thématiques, où le commissaire joue un rôle prépondérant, ou les making of, qui accompagnent les artistes en résidence à plusieurs stades de leur travail dans la réalisation de leurs œuvres.
À l’heure où l’art a de plus en plus de mal à s’imposer à la télévision – l’expérience Generation Art de RTL Tele Lëtzebuerg ayant fait figure d’exception, avec sa volonté de rendre les arts plastiques attractifs par la manière dont ils étaient filmés –, le Casino Channel constitue aussi une archive visuelle inestimable dont la valeur augmente avec chaque élément ajouté.