L’année dernière est paru ce documentaire sur la performance de Marina Abramovic au Moma au printemps 2010, The Artist is Present, qui m’a émue au plus profond, rien qu’en regardant ces gens assis en face d’elle et qui en ont les larmes qui coulent. L’artiste, pourtant, est assise tout simplement, sans aucun décor, bien droite, immuable durant des heures, en face d’étrangers, puis elle lève le regard et c’est comme une transfiguration – Pourquoi ? À cause de la mise en scène assez impressionnante pour arriver jusqu’à cette intimité, ce regard : New York, le Moma, sa meilleure salle, la dramaturgie de la visite et de l’attente... Probablement un peu de tout cela, mais surtout du temps qu’elle offre, quelques minutes de calme, d’introspection, de contemplation, son regard intense qui fait forcément un effet miroir.
C’est cette intensité, cette expérience unique, qu’on cherche toujours un peu en visitant un musée de nos jours, alors il est normal aussi qu’on en ressorte parfois frustré – par exemple de l’expérience Atelier Luxembourg au Casino, qui était davantage un capharnaüm où l’art se créait sur place (ou pas) qu’un lieu de contemplation, d’élévation ou de transfiguration. Mais l’expérience avait le grand mérite de prendre des risques, d’oser quelque chose, de s’accorder le droit à l’erreur et, pour cela, d’être radicalement dans notre temps.
« Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ces prétentions, et se définit, en ce sens, comme inactuel, écrit Giorgio Agamben dans son essai Qu’est-ce que le contemporain ? (Rivages Poche, 2008). Mais précisément pour cette raison, précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus adapté que les autres à percevoir et à saisir son temps. »
Notre temps a besoin de radicalité. Même si le mot fait peur, que ceux qui l’entendent s’attendent tout de suite aux Bommeléeër et autres attentats, les années d’austérité ne font que commencer dans les institutions culturelles, on ne le remarque que dans les soubassements : il n’y a plus de limites sacrées aux méthodes alternatives de financement, on danse, on joue, fait du yoga devant les œuvres pour vulgariser, vulgariser, vulgariser... Le Anything goes n’est plus celui des artistes, mais celui des institutions : fêter l’anniversaire de son enfant, véhiculer des logiques commerciales, promouvoir l’image de marque d’un sponsor... l’essentiel, semble être devenu de faire du chiffre, de pouvoir publier une augmentation du nombre de visiteurs dans son rapport annuel et ainsi sortir de la ligne de mire des décideurs politiques et de leurs bras droits, les contrôleurs financiers, qui vérifient méticuleusement le bien fondé de chaque centime d’euro dépensé.
La médiation est le mot magique des musées années dix. Rien à redire à cela, en principe, mais on a parfois l’impression que l’art et les artistes restent des spectateurs de ces évolutions, tout au plus des animateurs ou enjoliveurs, au lieu d’être les acteurs principaux de cette relation fragile avec leur public qui reste, il le prouve, avide de connaissance et de découverte. Cette crise du contenu est aussi une crise du discours, qui penche souvent davantage vers la communication et le compte-rendu complaisant que vers une véritable critique, par conséquent immédiatement perçue comme une agression.
Ce supplément Musées est la treizième édition d’un cahier qui accompagne les artistes, le public et les institutions dans leur évolution et fait, modestement, un peu de résistance.