Est-ce que la photographie peut être autre chose qu’une représentation imprimée ? Tills, l’installation de l’artiste Raphaël Lecoquierre, est une des expérimentations les plus étonnantes du thème Rethinking Identity du Mois européen de la photographie appliqué à l’objet « photographie » en tant que tel.
Après une phase intermédiaire de la vie des images (voir d’Land du 5 mai dernier), nous voici dans celle de la disparition figurative de la photographie. L’expérience de Raphaël Lecoquierre, né en 1988, qui vit et travaille à Bruxelles, est sa première exposition monographique. Stilbé Schroeder et Kevin Muhlen en sont les curateurs. C’est impressionnant. Tout d’abord parce qu’en tant que visiteur, au rez-de-chaussée du Casino Luxembourg – Forum d’Art Contemporain, on ne voit que des parois blanches striées de marques de couleurs et on marche sur un sol légèrement teinté de même. Rosées et bleutées, il n’y a rien d’autre.
On regarde de près, on effleure la matière du doigt. On touche une matière minéral, totalement lisse, mat et brillante par endroits. Mais où donc est la photographie ? Elle est seulement suggérée, avec leur cadre, par des volumes légèrement saillants des murs – carré, rectangle, rond.
Plongés dans l’espace blanc de Tills, nous sommes de fait dans la photographie même. Les stries colorées, c’est la substance chimique de tirages analogiques. Raphaël Lecoquierre a extrait les couleurs de photos de famille, de paysages et autres images récupérées. Opérant suivant un procédé chimique par oxydation, il les a ensuite mélangées aux matières de base du stuc. Du plâtre, de la poussière de marbre et de la colle.
Raphaël Lecoquierre appelle ça « stuc vénitien », car dans la cité lacustre, on l’a souvent utilisé pour imiter le marbre beaucoup plus onéreux. Mais le stuc est une technique très ancienne qui a été utilisée dès l’Antiquité. Dans cette installation sur la disparition de la photographie, l’artiste utilise donc aussi la sculpture pour rappeler le travail a fresco dans ces civilisations. Les formes géométriques sont simples : pyramides, colonnes des temples grecs et romains, des églises, étaient recouvertes de motifs en stuc qui, au fil du temps, ont disparu.
On peut penser que Raphaël Lecoquierre va encore plus loin. Si dans l’installation dans le hall du Casino, la colonne couchée est, supposons celle renversée d’un temple ou d’une église, la colonne dressée peut être une carotte de couches géologiques. Lors du lent glissement des glaciers, apparaissent en effet les moraines, que l’on appelle scientifiquement till, auquel renvoie Tills, le titre de l’exposition. Parmi les objets figurés, voici d’ailleurs une forme minérale : les débris rocheux entrent dans la composition du stuc.
En sourdine, on entend comme un drone (musique Still de Lou Drago) qui survolerait des apparitions de paysages, de montagnes, des glaciers, des rivières, des rochers. « À fixer longtemps les taches sur un mur, on verrait apparaître l’analogie d’images »… C’est une citation de Léonard de Vinci dans son Traité de la peinture. Les photographies ne seraient pas stockées dans les clouds des serveurs informatiques mais condensées ici, dans des stries du stuc de Tills ?