On the Other End, qui représente des fleurs, ouvre l’exposition à la galerie Reuter-Bausch. Cette grande photographie de Laurianne Bixhain en noir et blanc (épreuve gélatino-argentique de 100 par 150 cm sur papier baryté), illustre un aspect complexe de Rethinking Identity, la thématique générale de la neuvième édition du Mois européen de la Photographie.
Notre série d’articles qui couvrira l’événement dans les institutions et les galeries du pays durant les semaines à venir commence par le questionnement de Laurianne Bixhain et Christian Aschman. Avec ses fleurs, Laurianne Bixhain, évoque-t-elle la nature d’avant, sans manipulations génétiques ? Ou est-ce que la photographe rend hommage aux expérimentateurs d’il y a deux siècles aux débuts de la photographie ? Où, suivant la définition du Petit Robert, au début la photographie était « une nouvelle technique qui permettait d’obtenir une image durable d’objets par l’action de la lumière sur une surface sensible ».
Les premiers photographes ont beaucoup expérimenté les effets en extérieur, dans les jardins, où les formes de la végétation, les jeux d’ombre et de lumière leur offrait un sujet inépuisable. Aujourd’hui, on est à une ère de tous les possibles avec la photographie numérique et les manipulations par les images de synthèse. Où donc se situe la place de la photographie d’artiste et quelle forme peut-elle prendre ?
À l’autre bout de l’exposition, sur le mur du fond de la galerie, une ville se superpose à une autre. Christian Aschman montre Tokyo, les immeubles anonymes de la mégalopole aux millions d’habitants, sans personne, accolée à un quartier très reconnaissable de Paris. Ce sont les immeubles 18e siècle du Marais, leurs porches cochères, les graffiti, les passants. C’est une prise de vue à l’aube d’une action la nuit précédente par Aschman lui-même, qui sera vite recouverte par d’autres affichages sauvages. Où situer cette sorte de fresque urbaine, sur papier Blueback, dans l’éventail des possibles photographiques ?
What remains is an intermediary thing, Repeated que la galerie Reuter-Bausch utilise comme titre général de l’exposition, est un emprunt à Laurianne Bixhain, Il définit on ne peut mieux le travail des deux photographes. Ils interrogent en l’occurrence une identité de la photographie, un moment dans un processus beaucoup plus large. Cinq ans après la présentation de la jeune photographe aux Rencontres photographies d’Arles en 2018, savoir que les fleurs de On the Other End se trouvaient à un des marchés aux fleurs de Hollande où elles sont mises aux enchères, acquises par les plus offrants, puis sont expédiées par les grossistes dans le monde entier pour être vendues en boutique, enlève-t-il la poésie inhérente à cette photographie ?
La question que pose Laurianne Bixhain, est de savoir si la photographie d’artiste, qui est un produit culturel, peut s’insérer dans une production machinée ? En 2021-2023, elle a photographié le processus technique du contrôle de qualité dans une fabrique de pare-brise. Ainsi que les coupes montrant les points de rupture et de faille d’un diamant en vue de sa meilleure taille possible. Laurianne Bixhain rend compte d’un processus matériel, le spectateur est lui face au mystère de l’image. Issue de la vision d’un objet matériel, celle-ci paraît conceptuelle, abstraite. La série d’ épreuves argentiques – quatre en noir et blanc, trois en couleur – s’appelle The day begins with a loud boom…
Pour Christian Aschman, il n’était pas question de revenir d’une résidence à Tokyo en 2014 avec des « clichés » de la mégalopole. Se basant sur des cartes postales de lieux tels qu’ils étaient dans les années 1970, il est retourné les photographier quarante ans plus tard. De ce processus de transformation, il a tiré un livre The space in between, et les photographies que l’on voit actuellement à la galerie sont encore une nouvelle phase de la vie des photographies tokyotes.
Dans cette publication, les photographies étaient pour certaines présentées recto verso, sur une double page pliée, suivant un mode de publication japonais. On n’en voyait que la moitié, sauf à déplier la page. L’accrochage actuel est l’occasion de voir les photos en entier, dans une composition spatiale en quelque sorte nouvelle. Et, en incrustant des images dans les images, Christian Aschman a aussi brouillé les pistes. C’est une bonne réponse à Rethinking Identity : où se situe l’identité photographique ?