Back in those days, disait l’invitation à l’exposition de l’artiste Hisae Ikenaga, née à Mexico City, travaillant aujourd’hui entre l’Espagne, la France et notre pays. Où elle s’est fait un nom, en 2020, en tant que lauréate du Leap, prix d’encouragement, ainsi qu’au fil d’expositions qui ont suivi à la galerie Nosbaum-Reding, aux Rotondes ou à l’OAI. La promesse était donc d’aller pour ainsi dire aux origines de son art, aux réalisations d’une artiste qui à l’époque avait à peine dépassé la trentaine. Ce qui excluait aussi l’idée d’une rétrospective, trop ambitieuse, et les salles, réduites, de l’espace CAW, à Walferdange (jusqu’au 20 mai), s’y seraient d’ailleurs opposées. Promesse tenue, disons-le d’emblée, donnant de quoi saisir les prémisses et comprendre les orientations qui ont suivi.
Autre chose dans l’invitation avait excité la curiosité : la photo extraite d’une vidéo, Table tennis, de 2011, on aura noté le renversement dans l’ordre des notions. Où l’on voit deux joueurs de ping-pong, de part et d’autre d’une table qu’on a sans doute raison de penser trop basse, adaptée au filet qui s’avère, lui, d’une longueur tout exagérée, allant bien au-delà de l’espace de jeu, ayant allure d’un véritable court central de grand chelem. Les dimensions d’un terrain de tennis y sont, il ne manque que les lignes, et le jeu se limite à la seule surface de la table. Avec des raquettes de ping-pong toutes banales, et les vêtements des joueurs avec le nom d’un équipementier connu signalent de même la réduction de l’exercice.
Il y a bien hybridation, croisement, ou mélange si l’on veut, ou encore pour reprendre un terme cher à Hisae Ikenaga que l’on retrouvera plus loin, incrustation de la table, et d’un sport dans un autre. Sans que les choses aillent plus loin. Cela ne perturbe pas autrement le jeu, les gestes et les mouvements des joueurs, les lois et les règles si jamais il y avait compétition. Or, c’est cela justement qu’on attend de l’art face au sport, un dérèglement, de la fantaisie, de la folie. La vidéo peut séduire par sa beauté indéniable, elle ne dérange pas, ne déstabilise pas, comme l’ont fait d’autres artistes, plus épris de dévergondage (ah, la répétition du préfixe en dit long), en modifiant par exemple la surface de jeu, en introduisant deux ballons dans une partie de basket, ou en faisant porter à des footballeurs des costumes de couturier italiens, peu faits pour un terrain boueux.
Vidéo trop sage, conclura-t-on, mais Hisae Ikenaga se rattrapera dans une autre salle, avec des sculptures en bois intitulées, a contrario et à raison, en reprenant le mot qui normalement sied à quelque ornement : Incrusté II et Incrusté III, avec leurs pièces de menuiserie, bibliothèque, table de chevet, cadre, assemblées à tort et à travers, articulées sans discernement, désarticulées au gré de l’art. C’est bizarre, c’est capricieux, c’est un compliment que de se souvenir en l’occurrence de l’artiste allemand Reiner Ruthenbeck, plus conceptuel, il est vrai, dans l’esprit des années 70 et 80.
Fait face à ces deux stèles baroques, la rigueur géométrique du Cube de chaises, lui aussi de 2012, fait de douze chaises, pas moins, défaites, disloquées, avec leurs vis. Et là encore, Tony Cragg et ses empilements, comme Stack, de 1975, peuvent remonter de nos souvenirs lointains. Comme le sculpteur anglais, Hisae Ikenaga est par ailleurs une matérialiste.
L’exposition comporte en outre une douzaine d’œuvres de taille plus réduite, jouant des mêmes effets. Comme ces meubles entassés, en bronze, de 2009, ne dépassant pas les trente-cinq centimètres sur vingt-cinq et vingt. Ou sur un socle, des balles de golf et des coraux blancs, agglutinés, de 2009 également. Hisae Ikenaga y revient au sport, avec cette facétieuse constatation : Apparemment, il y avait un terrain de golf à côté de cette plage.