Pour les adolescents c’est la saison des camps d’été. Mais ils ne sont pas tous consacrés aux activités sportives ou de loisirs. Ainsi 240 élèves d’un collège de Belmopan, la capitale du Belize, un petit état d’Amérique centrale, ont-ils passé une semaine, mi-juillet, dans un « Financial Literacy Summer Camp », un séjour destiné à améliorer leurs connaissances financières et leurs capacités entrepreneuriales ! Cette formule, sponsorisée par PricewatehouseCoopers et l’ONG américaine Peacework, existe depuis huit ans et concernera cette année quelque 800 jeunes issus de cinq collèges.
Au même moment, à plusieurs milliers de kilomètres de là, dans une petite ville à l’extrême sud de l’Inde nommée Sivaganga, une centaine de personnes participaient au « Financial Literacy Awareness Programme » organisé par la NABARD, la Banque nationale pour l’agriculture et le développement rural. Un peu plus tôt, à la mi-juin, la Banque centrale de la République Démocratique du Congo annonçait la mise en place, avec la collaboration technique de la société allemande GIZ, d’un « Programme national d’éducation financière » destiné à fédérer des actions de formation trop éparpillées et mal coordonnées.
On pourra toujours dire que ces dispositifs destinés à améliorer les connaissances financières du public ont comme point commun d’avoir été conçus dans des pays pauvres, où le niveau général d’éducation est assez faible (33 pour cent d’analphabètes au Congo-Kinshasa et 37 pour cent en Inde) tout comme le taux de bancarisation. C’est oublier que dans les pays développés les initiatives foisonnent également, comme par exemple au Canada où a été lancé en juin dernier, après six années de gestation, le programme national d’éducation financière « Count me in, Canada ». Il faut dire que dans ces pays aussi, l’ampleur de la tâche est considérable et l’OCDE s’en est émue dès 2005.
L’Europe n’est pas en reste avec l’avis d’initiative du Comité économique et social européen sur le thème «Éducation financière et consommation responsable de produits financiers» adopté en juillet 2011. Pour avoir une idée du problème, on peut se référer aux résultats d’un test dû à Olivia S. Mitchell (Wharton School) et Annamaria Lusardi (George Washington School of Business). Le petit questionnaire qu’elles ont conçu en 2006 dans le cadre d’une étude universitaire (seulement trois questions, lire encadré) est devenu un standard international pour mesurer simplement le degré de connaissances financières d’une population. Réalisé à l’occasion d’enquêtes menées dans différents pays, et repris à son compte par l’OCDE, ce test autorise des comparaisons internationales pertinentes.
Mmes Mitchell et Lusardi ont présenté dans un article académique paru en janvier 2015 les résultats obtenus récemment dans douze pays développés. Ils ne sont vraiment pas brillants. La proportion de réponses exactes aux trois questions dépasse quarante pour cent dans à peine un tiers des cas. Aux États-Unis et en France elle se situe entre trente et 31 pour cent, et dans deux pays (Russie et Roumanie) elle est inférieure à quatre pour cent (soit une personne sur 25 !). En se focalisant sur quatre pays (États-Unis, Allemagne, Pays-Bas, Suisse), les chercheuses ont fait deux constats préoccupants. Tout d’abord, si le « taux de réussite » est bien lié au niveau d’études, ce dernier ne garantit rien puisqu’environ trente pour cent des diplômés de l’enseignement supérieur ne sont pas capables de répondre correctement aux trois questions. En second lieu il existe un décalage étonnant au détriment des femmes (entre douze et 23 points d’écart), que les chercheurs peinent à expliquer dans des pays riches.
Par ailleurs une majorité de sondés ne semblent pas conscients de leurs lacunes puisque le niveau de confiance dans leurs réponses est très élevé (cinq sur une échelle de sept aux États-Unis, 4,6 en Allemagne et aux Pays-Bas), les hommes étant davantage sûrs d’eux-mêmes que les femmes. Une « croyance en sa compétence » qui a été confirmée dans plusieurs autres études.
On pourrait espérer que les jeunes, qui bénéficient d’une formation plus récente, et qui baignent dans une société « financiarisée », auraient de meilleurs résultats. Mais l’étude Pisa (pour Programme for International Student Assessment), menée sous l’égide de l’OCDE auprès de jeunes gens âgés de quinze ans dans treize pays, montre que seulement un sur six est capable de résoudre des tâches financières un peu élaborées (lecture d’un relevé de compte, compréhension d’un contrat d’assurance, calcul du coût d’un crédit), y compris parmi ceux qui possèdent déjà un compte en banque. Un sur sept est incapable de prendre des décisions, même simples, en matière d’argent.
Conscients des problèmes économiques et sociaux que peut poser l’insuffisance de la culture financière du public (aux États-Unis, un tiers des écarts de richesse entre les ménages est imputable à des différences de connaissances dans ce domaine) les autorités de plusieurs pays ont développé de longue date des initiatives en direction du grand public, avec l’aide des milieux professionnels. En France par exemple où existe depuis 1997 une École de la bourse qui a déjà formé plus de 100 000 particuliers à la connaissance des mécanismes boursiers, a été créé en 2006 l’Institut pour l’éducation financière du public, surtout connu sous le nom et le logo de « La finance pour tous ».
Comme le montre l’exemple canadien, ces dispositifs « généraux » sont très variés dans leur forme (sites Internet, séminaires, fascicules), dans leur durée (certains programmes s’étalent sur deux ans) et dans leurs cibles (personnes à bas revenus, seniors, migrants). Cela étant, comme l’ont montré Mitchell et Lusardi, les initiatives les plus efficaces sont celles qui visent les jeunes.
L’exemple du Belize cité plus haut est révélateur des efforts tournés vers la jeunesse. À Toronto, le lancement de « Count me in, Canada » a d’ailleurs eu lieu dans les locaux de la YMCA, alors qu’il ne concerne pas que les jeunes. Certaines actions visent particulièrement les filles, comme le Junior Girls Day Out organisé mi-juillet en Caroline du sud pour des élèves de six à douze ans. Dans plusieurs pays il existe déjà, en dehors des sessions ponctuelles, un enseignement des mécanismes financiers inscrit dans les programmes officiels du primaire ou du secondaire. Pour autant, sur des thèmes aussi austères, il faut pouvoir faire passer le message sous une forme attractive voire ludique (d’où l’idée des « summer camps »). Un test a permis de constater que cinq concepts financiers-clés, présentés sous forme de courtes vidéos et de petites histoires, étaient toujours mémorisés à hauteur de trente pour cent au bout de huit mois. Un résultat considéré comme satisfaisant par les spécialistes, mais qui milite cependant pour de fréquentes « piqûres de rappel », tout au long de la scolarité puis de la vie active, surtout dans un domaine aussi évolutif que la finance.