Ambiance électrique, le 26 avril à la Philharmonie, pour le concert de l’orchestre maison, qui conjuguait deux « tubes » immarcescibles du grand répertoire : le Troisième concerto pour violon de Mozart et la Septième de Bruckner. Le premier tube, sous les doigts de la nouvelle étoile montante au firmament des violonistes, Veronika Eberle ; le second, sous la baguette d’une guest-star, en l’occurrence le chevronné chef britannique Andrew Manze.
Je ne connais guère de grand violoniste qui n’ait tenu à se colleter avec les cinq Concertos écrits « en rafale » par le Wunderkind de Salzbourg, l’année de ses 19 printemps. Aux prises avec « l’insoutenable légèreté » du Troisième, Veronika Eberle, la figure de proue d’une nouvelle génération conquérante qui ne craint pas de s’affirmer, ne cherche pas l’originalité à tout prix, mais s’évertue humblement à n’être que le médium de Mozart. Et, surtout, à n’être qu’elle-même ! Rien de sucré, de pomponné, mais une épatante vitalité dans son interprétation pleine de sève, que confirmera un bis virtuose en diable.
Silhouette longiligne de danseuse étoile, longues mèches romantiques relevées par un chignon, bien dans sa peau, la jeune magicienne munichoise à l’archet olympien, déjà couronnée de nombreux prix internationaux, affiche sans complexe autant d’énergie que de magie, de détermination que de décontraction, de personnalité que de liberté. La stabilité en même temps que la flexibilité de cette équilibriste funambulesque laissent pantois. Tout comme son engagement sans concession. Il n’est que de voir la manière dont elle fait corps avec son instrument, le « Dragonetti », un Stradivarius de 1700.
Quant à l’OPL, il se montre totalement concerné, en sonnant avec l’acuité d’une formation qui se surpasse, galvanisé qu’il est par un sujet de Sa Gracieuse Majesté qui a visiblement saisi toute l’essence de cette musique absolument divine, à l’écoute de laquelle je repense à la phrase d’Albert Einstein : « On ne peut pas désespérer de l’humanité en sachant que Mozart était un homme ».
La foi de Bruckner se partageait naïvement entre Dieu et Wagner. Au début des années 1880, en même temps qu’il compose un Te Deum, l’organiste de Saint-Florian entreprend sa Septième Symphonie, chant de louange laïque à la gloire du Maître de Bayreuth. Une heure et quart de musique « métaphysique », culminant dans l’Adagio central (peut-être la page la plus bouleversante de tout l’œuvre brucknérien). En dehors du recours aux tubas graves, en usage dans la fosse de Bayreuth, et d’une citation du Crépuscule des dieux, Bruckner, malgré son allégeance à Wagner, reste lui-même.
Partition énorme que cette Septième, que le chef invité dirige avec une remarquable maîtrise des masses orchestrales. La musique du Maître de Linz a beau en imposer. Dans la mesure où elle conjugue l’esthétique postromantique de Wagner, la science contrapuntique de Bach et la suave spontanéité de Schubert, elle requiert une finesse et une rigueur qui en garantissent la lisibilité. Or, là, dans cet ouvrage le plus « noblement populaire » de Bruckner, le maestro d’outre-Manche obtient du National de véritables prodiges en termes de chaleur des timbres, de contrastes dynamiques, d’amplitude agogique, d’impressions de vie intense des pupitres.
Sans doute l’interprétation aurait-elle gagné à « prendre son temps », tant la vision que propose Manze est enlevée et va en s’accélérant. Mais c’est un exemple de ce que peuvent nous donner les « nouveaux brucknériens », lesquels ont dû méditer la boutade de Stravinski à propos des symphonies du « Ménestrel de Dieu » : « Je veux bien grimper au ciel, mais pas dans un train de marchandises » ! Dans cette optique, le meilleur moment fut probablement l’épisode puissamment cinétique du Scherzo, particulièrement enlevé, oscillant entre saveurs du terroir et polyphonies savantes, et qui ne manque ni de tranchant, ni de cet allant qui permettent de mettre en avant la transparence de l’écriture polyphonique, faute de quoi l’œuvre risque de se noyer dans une somptuosité lourde. Belle conclusion, enfin, avec un Finale remarquablement proportionné, fermement architecturé et minutieusement équilibré. Passée la coda culminant sur un triomphal point d’orgue en mi, là où la musique parle au silence, l’assistance éclate en acclamations enthousiastes. Et l’on comprend aussitôt que quelque chose d’exceptionnel vient de se passer.