En gravant pour le compte du label Pentatone la Petite Messe solennelle de Gioacchino Rossini, l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg poursuit sa série de portraits dédiés à Bruckner, Chostakovitch, Debussy, Mahler, Ravel et Stravinski. « Petite » ? L’ironie habituelle du champion des « bons mots » qu’est le « Cygne de Pesaro » explique sans doute la pirouette, en forme d’oxymore, du titre. Si « petite », cette Messe, qu’elle dure plus de 80 minutes (autant que la Missa solemnis de Beethoven), qu’elle requiert du chœur (Wiener Singakademie) un brio à toute épreuve, de l’organiste (Tobias Berndt) du panache à revendre, des solistes vocaux qu’ils soient rompus aux exigences et aux couleurs du bel canto, et – last not least – de l’hidalgo Gustavo Gimeno, toujours aussi nerveux et chaleureux, viril et crâne, quand il s’agit pour lui de montrer, dans une œuvre qui lui sied, de quel bois il se chauffe, une générosité enthousiaste, celle-là même qu’exige cette musique d’église qui reste avant tout une musique festive.
C’est avec sa verve coutumière que Rossini y chante les louanges de Dieu : avec un métier qu’il a peaufiné tout au long de sa longue vie. Avec sa foi, aussi (l’œuvre est dédiée au « Bon Dieu » !). C’est son dernier « péché de vieillesse », comme il confesse cum grano salis. C’est le testament musical du vieux maestro, qui, au soir de sa vie (il achève la version pour grand orchestre un an seulement avant sa mort), rangé des cabales et vanités de la vie mondaine, n’a plus écrit d’ouvrage important depuis des lustres, et qui espère avec ce geste pieux et virtuose gagner le Paradis.
Il suffit d’écouter quelques mesures de cette Messe pour se rendre compte que la fibre opératique n’a pas complètement abandonné Rossini, dont la réputation comme compositeur d’opéras n’est plus à faire, mais dont beaucoup ignorent qu’il est également l’auteur de nombreuses partitions pour piano, orchestre, formation chambriste ainsi que d’une trentaine d’œuvres sacrées, à commencer par le fameux Stabat Mater. « Est-ce de la musique sacrée que j’ai composée ou une musique du diable ? », ira-t-il jusqu’à se demander au sujet de cette « petite » Messe, dans une lettre personnelle ?
Cela dit, c’est d’entrée de jeu la rigueur et la vigueur qui priment tout, si bien que l’on défie quiconque de somnoler à l’écoute de cet opus. On est d’emblée frappé par le sérieux et la profondeur du premier Kyrie. Répartie en quatorze numéros, l’œuvre permet au compositeur de jouer, à la faveur d’un éclectique patchwork de styles d’écriture d’une extraordinaire diversité, de toute l’étendue de sa palette sonore : rigueurs du a capella (Christe, Sanctus), doubles fugues trépidantes (Cum Sancto Spiritu, Et vitam venturi saeculi) qui estampillent le vieux Rossini comme un maître du contrepoint, plans harmoniques mouvants, modulations parfois hardies, élégance, simplicité et pureté des lignes mélodiques, envolées lyriques du ténor (Kenneth Tarver), mélopées aussi langoureuses que lumineuses de la soprano (Eleonora Buratto), gravité et pathos de la basse (Luca Pisaroni), ardente flamme de la mezzo (Sara Mingardo) qui survole un Agnus Dei conclusif, romantique à souhait et d’une intensité poignante.
Sommet d’émotion spirituelle : le Preludio religioso, un intermède pour orgue combinant un Prélude très élaboré et une Fugue savante dans le style du Cantor de Leipzig. Bref, dans cette Petite Messe solennelle, Rossini apparaît tout à la fois comme le dernier des classiques et le premier des néoclassiques, vu qu’il regarde aussi bien en arrière (Bach, Haydn, Mozart, Cherubini) qu’en avant (certains traits d’écriture préfigurent Fauré voire Poulenc).
Ce coffret rossinien devrait passionner non seulement tous les amoureux du Maître de Pesaro, mais également tous les amateurs de belle ouvrage, soignée, façonnée avec méticulosité et exécutée avec amour, tant l’OPL, au mieux de ses moyens, y fait bon poids sous l’énergique conduite de son patron, lequel parvient à hisser un chœur époustouflant de ferveur expressive et des solistes de haut vol idéalement belcantistes au même niveau d’excellence, tout en sachant trouver par ailleurs, avec ce mélange de minutie et d’élégance qui fait sa force, les justes – ô combien difficiles – équilibres entre scène et prie-Dieu, entre voix et instruments, solistes et chœur, poésie sincère et théâtralité opératique. Un album à offrir ou à s’offrir, toutes affaires cessantes.