Le 14 février dernier, un quatuor vocal de l’Inecc (Institut Européen de Chant Choral) Luxembourg s’est produit dans le tram. Les badauds, ravis pour la plupart, ont pu s’offrir une pause musicale impromptue en cours de journée. Quelques chants signés feu Johann Sebastian Bach, légende parmi les légendes. Une action isolée qui a permis d’annoncer, d’une jolie mais discrète manière, la seconde édition du projet Bach in the subways « made in Luxembourg ». Bach in the subways, c’est d’abord une initiative lancée en 2010 par Dale Henderson, violoncelliste américain qui s’est mis à interpréter fréquemment du Bach dans les stations du métro de New York, et ce en refusant toute donation. L’amour de la musique du compositeur allemand primant sur toute considération pécuniaire. L’année d’après, à l’occasion de l’anniversaire du Cantor de Leipzig, le même artiste a lancé un appel international à ses confrères, à jouer du Bach bénévolement, dans tous les lieux imaginables. On connaît l’histoire, la sauce a pris. Depuis, chaque 21 mars, des milliers d’artistes à travers le globe répondent à l’appel. Ce festival mondial informel est arrivé au Grand-Duché l’an dernier, avec quelques années de retard certes, mais mieux vaut tard que jamais.
Jeudi 21 mars donc, en milieu de matinée. Une petite partie de l’ensemble Ad Libitum se produit au Bierger-Center puis, suivie par une vingtaine de curieuses et de curieux, se dirige ensuite vers le Lëtzebuerg City Museum. Là, Sabine Vermeersch se plante au milieu d’un couloir et interprète le premier mouvement de la partita pour flûte seule en la mineur. Une musique douce et sylvestre en forme de mouvement perpétuel. Cachée entre deux murs aux pierres apparentes, une salle de conférence où se produisent ensuite Roby Stoos au hautbois, Roby Lohr au basson et Rosch Mirkes au clavecin. Les trois musiciens connaissent leurs partitions, quelques notes fuient parfois, mais elles sont rattrapées en plein vol. Rosch Mirkes, qui est d’ailleurs à l’initiative du projet, explique patiemment le principe des transcriptions musicales à l’audience. Il cite évidemment Glenn Gould et en bon professeur, il dissèque les entrailles de son instrument à cordes à la fin du concert. Son ambition au cours de la journée est, de son propre aveu, de faire découvrir des œuvres méconnues du compositeur. Parmi les plus de mille compositions du répertoire du maître baroque, des choix ont été faits. Les plus célèbres pièces, celles qui seraient immédiatement reconnaissables même par les plus profanes, n’y sont pas.
Dans l’église Saint-Alphonse, celle qui jouxte la place du Théâtre, Jos Majerus joue sur ce qui semble être un petit orgue à soufflet, installé au milieu de la nef. L’ambiance sacrée des lieux mixée à la musique baroque nous fait sentir petits. Des choristes montent ensuite sur l’estrade, il s’agit de l’Inecc Bach Choir qui est dirigée par Nicolas Billaux. La même troupe se dirige ensuite vers le Glacis pour prendre le tram. Il est un peu plus de midi et le lieu fourmille. Les travailleuses et travailleurs en pause, les membres fidèles de l’audience depuis le début du parcours, ainsi que les choristes, photographes et autres techniciens pour la télévision s’engouffrent ensemble dans les rames du transport en commun. Quelques courtes minutes de chant désordonné, presque improvisé, s’ensuivent avant le premier arrêt, celui du Funiculaire Pfaffenthal-Kirchberg. Là, la chorale pose ses bagages en plein milieu de la station. Silence de cathédrale dans un lieu d’arrêt originairement bruyant. La formation exulte tandis que l’audience grossit. D’abord regroupés en un amas compact, les choristes s’écartent pour former un large cercle, grignotant de plus en plus chaque parcelle de la station. Les passants se prêtent au jeu et s’arrêtent un instant.
Le spectacle terminé, les choristes s’en vont vers le Centre national sportif et culturel d’Coque. Pendant ce temps, dans le hall d’entrée du Cercle Cité, des percussionnistes du Conservatoire de Luxembourg jouent sur des marimbas installés pour l’occasion. Une à une et un à un, de jeunes élèves du conservatoire s’emparent de leurs baguettes et, accompagnés par leurs professeurs, interprètent de courtes, élémentaires, mais agréables œuvres. L’audience est plus hétéroclite, ou disons-le franchement, plus jeune qu’en matinée. Malgré les incessantes entrées et sorties du public et les désagréables courants d’air en résultant, les élèves s’en sortent de manière honorable. Plus bas, dans la plus modeste église protestante, Georges Hengesch termine de jouer Komm, süßer Tod au piano. Il laisse place à Guy Goethals pour une très intéressante performance solo au saxophone. La quatrième suite pour violoncelle en mi bémol majeur prend des airs jazzesques. On croirait entendre Bird’s Laments, essentiel hommage à Charlie Parker signé Moondog. Tandis qu’une partie de la chorale dirigée par Nicolas Billaux se produit au Musée national d’histoire et d’art, une performance live de la flutiste Anne Clement est diffusée sur les ondes de la radio 100.7.
On regrette l’époque du passage sous-terrain d’Hamilius, lieu qui s’apparentaient le plus à une station de métro new-yorkaise et où le cadre aurait été idéal pour un concert ou deux. L’année prochaine au mieux, l’initiative devrait dépasser les frontières de la capitale et s’étendre à travers le Grand-Duché. C’est qu’il y en a des châteaux et autres lieux culturels en marge pour accueillir ce genre d’initiatives, surtout que le public autochtone semble y être réceptif. On retient de l’évènement un professionnalisme et un aspect trop carré de l’ensemble qui a, de fait, privé le public de tout imprévu poétique. Car après tout, la seule parenthèse, pour les personnes qui n’étaient pas au courant d’une telle manifestation, aura été celle des six ou sept minutes cumulées de chants dans le tramway. En attendant, la balade en compagnie de Bach se prolonge jusqu’au soir.