Les grandes vacances approchent et, cette année encore, il est grand temps de songer à un plan pour éviter de passer deux semaines entières chez sa belle-famille. Ce qui signifie trouver une destination et, bien souvent, l’hébergement qui va avec. Les nuits à l’hôtel sont synonymes de (au moins) deux plaisirs un peu honteux : ne pas devoir faire son lit, d’une part, et profiter d’un buffet de petit-déjeuner à volonté d’autre part. Alors que notre ordinaire se satisfait pleinement de deux tartines et d’un café, voire d’un jus d’orange maison et d’une viennoiserie ou d’un muesli pour les plus motivés, rares sont ceux qui résisteront aux débauches de calories proposées en offrande sacrificielle aux adeptes du voyage.
Pourtant, à part sur l’autoroute A31 un vendredi soir, il y a peu d’autres endroits où l’on peut se surprendre à détester autant son prochain. Les raisons de commencer sa journée de mauvaise humeur semblent aussi variées que le choix de victuailles qui nous sont proposées pour rompre le jeûne. De la machine à café désespérément lente, à l’impatient Anglais qui se rue sur les tranches de bacon sans attendre son tour, vous savez que la réussite de votre petit-déjeuner dépend d’orientations stratégiques qui laissent peu de place à l’improvisation. Il faut distinguer ce qui a l’air vraiment bon de ce qui vous fait envie mais que vous regretterez à votre prochain passage sur la balance ou chez le médecin, et, surtout, détecter les plateaux sur lesquels ne restent que quelques morceaux défraîchis et vont bientôt être renouvelés, créant un tsunami à côté duquel la ruée sur les transats à l’heure de l’ouverture de la piscine fera office d’aimable bousculade.
L’enfer ne se limite pas qu’au buffet. Le choix de la table doit satisfaire des besoins a priori incompatibles : être isolé mais pas trop éloigné de la nourriture, ne pas se trouver dans un lieu de passage où l’on serait à la merci d’une assiette renversée, disposer d’un espace suffisant pour que le voisin de derrière ne percute pas votre chaise à chaque fois qu’il se lève et, évidemment, être d’une propreté irréprochable. Il est inconcevable de s’asseoir à une place avec un simple rond de café sur le set en papier, comme si vous ne comptiez pas vous-même recouvrir l’endroit de tâches de gras, de traces de liquide divers et de miettes en tous genre. Et surtout, si possible, retrouver la même place tous les matins, pour éviter de perdre tous ses repères.
Ensuite, vous avez le choix entre vous occuper des plateaux de vos gamins, et boire votre café froid si vous ne voulez pas faire de nouveau quinze minutes de queue, ou les laisser se débrouiller, pour constater, désespéré, que votre petit dernier n’a pas faim maintenant, et ne termine pas sa demi banane, alors que dans deux heures il pourra dévorer trois bols de Chocapics et cinq ou six tartines. Pour passer le temps, une fois assis, on pourra bien sûr se distraire en observant ceux qui veulent rentabiliser leurs 28 euros et préparent des sandwichs clandestins, qu’ils planqueront dans le sac à main de madame. Une petite odeur de charcuterie qui vous remonte dans les sinus chaque fois que vous cherchez votre token Luxtrust constituera certainement un souvenir de vacances aussi original que durable.
Le plus haut degré sur l’échelle de Richter du petit-déjeuner est sans doute atteint au parc Disneyland. Il faut se lever aux aurores pour espérer arriver à l’ouverture des hostilités. Ensuite, après quarante minutes d’attente le ventre creux, il faut manger le plus vite possible pour profiter des attractions avant l’ouverture du parc au grand public. Si vous avez échappé au burn out sur votre lieu de travail, préparez-vous à une nouvelle épreuve pendant vos vacances…
Rescapés de la pandémie de covid-19 et de la prétendue fin de l’ère de l’abondance, les buffets sont désormais l’un des rares endroits où s’exprime pleinement notre volonté. Je fourre mon croissant avec de la confiture de fraise et une tranche de jambon si cela me chante. Mon plateau est mon espace de liberté. Le paradoxe est ainsi entier : bénéficier d’un buffet dont les prodigalités doivent être partagées avec des inconnus. Il n’y a certainement qu’en vacances qu’on est prêts à accepter un tel degré de vie en communauté : après le voyage en avion, et avant la visite au musée ou la journée à la plage, le repas du matin s’inscrit parfaitement dans la logique du tourisme de masse. Ne pas s’y plier, c’est aussi une question... de volonté.