Y a-t-il un superlatif de wow !? Serait-ce « wower » ? Ou « encore plus wow » ? Enfin, si un tel mot existe, on aurait envie de l’utiliser pour le one-woman-show intitulé justement Wow ! d’Eugénie Anselin. Et ce non seulement parce que c’est a/une jeune b/femme et c/qui en veut. Pas non plus parce que les spectacles humoristiques écrits par les actrices ou acteurs eux-mêmes ne sont pas légion au Luxembourg – à part Elisabet Johannesdottir et Gintare Parulyte, qui viennent de se lancer. Mais aussi parce que la prestation scénique d’Eugénie Anselin est aussi époustouflante que son humour est grinçant.
Une fois que disparaît l’écran de veille « MacBook Pro de Antoine » projeté sur la toile devant la scène dans une salle pleine à craquer, mardi soir lors de la première de la version allemande de Wow ! au Kasemattentheater, Eugénie Anselin nous embarque à grande vitesse dans sa vie. Enfin, pas vraiment sa vie, mais la vie de son personnage, qui par hasard, s’appelle aussi Eugénie et est aussi né en 1991. Donc quand même un peu sa vie. Disons : sa vie romancée. « Her better self » comme disent les articles de sociologie à deux balles sur le phénomène des réseaux sociaux. Et ce « meilleur elle-même » s’apprête à écrire une pièce de théâtre. Forcément sur un iBook, forcément assise dans un fauteuil design en cuir blanc, forcément devant une gigantesque To do-list – « j’adore les to do-lists ». Mais cette Eugénie-là a surtout une grande compétence : la procrastination (« tendance pathologique à différer, à remettre l’action au lendemain », Larousse).
Donc que fait-on si on n’a pas envie de bosser ? On bidouille les formatages du document Word (Cambria ? gras, italique ET sous-ligné pour le titre ?) ; on s’empiffre de saloperies trop sucrées, trop grasses ou trop salées (en l’occurrence, des cacahuètes salées dont elle essaie de compter les calories par cacahuète), on « chatte » (« de l’anglais to chat, bavarder », Larousse) avec ses amies sur tout et n’importe quoi via messagerie portable, on poste, on aime ou on partage sur Facebook et autres réseaux sociaux. Tout cela dans un vocabulaire pour lequel les pauvres gens qui sont nés avant le passage du millénaire doivent régulièrement consulter urbandictionary.com.
Cette Eugénie-là fait tout sur son smartphone, qui est beaucoup plus qu’un téléphone – mais aussi son agenda, sa calculette, son appareil photo, sa caméra vidéo, sa station météo, sa connexion au monde… bref : tout. « C’est ma vie ! » dira-t-elle lorsqu’il vient à manquer de batterie. Les réseaux sociaux et les messageries font qu’elle ne peut jamais se déconnecter plus que quelques minutes – « merde, je n’ai plus rien posté en 24 heures, les gens vont croire que je suis morte… » – elle le consulte sans cesse… Bref, elle a un Fomo – Fear of missing out. Et comme « la nomophobie est une maladie », il y a forcément aussi une thérapie. Son stage de « digital detox » désopilant est parmi les meilleurs moments du spectacle.
Derrière son humour de standup comedian à la française (même dans la version allemande) genre Florence Foresti ou Muriel Robin, Eugénie Anselin nous dit pourtant aussi des choses sérieuses : que cette manie à vouloir ou devoir être en concurrence acharnée avec les 7,6 milliards d’autres humains sur terre, c’est des conneries. Que l’obsession de la réussite nous prive de la vraie vie. Que trouver le bonheur est finalement le seul but qui vaille la peine d’être poursuivi.
On connaissait Eugénie Anselin actrice, dans la sitcom ado Weemseesdet de RTL Tele Lëtzebuerg, dans Eng nei Zäit, Mobile Home ou Bad Banks, mais aussi, de plus en plus souvent, au théâtre, régulièrement d’ailleurs ici, au Kasemattentheater. Et elle joue dans toutes les langues – parce qu’elle est née en France de parents français, a grandi au Luxembourg et fait ses études en allemand à Zurich. Le multilinguisme la fascine et il serait intéressant de voir les deux versions linguistiques du spectacle, l’une n’étant pas une bête traduction de l’autre, promet-elle. Wow ! est son deuxième spectacle personnel, huit ans après Attention, chantier en cours ! en 2010 – elle avait alors 19 ans. Sa présence sur scène (sous le regard bienveillant d’Antoine Morin, le metteur en scène et son partenaire dans la vie), son humour, sa capacité à faire évoluer son personnage et à lui faire faire des revirements radicaux d’ambiance, son jeu extrêmement physique aussi (parler en faisant des exercices pour abdos, incroyable) font que, si Wow ! n’est pas une révélation (on la connaissait), c’est au moins la confirmation d’un talent hors pair.