Jacques Offenbach : amuseur public ou compositeur lyrique de génie ? Probablement un habile mélange des deux, pour le plus grand bonheur du Second Empire festif... C’est ce que tente de mettre en évidence le Théâtre ouvert Luxembourg (Tol) avec sa dernière création (écrite par Florent Toniello) : Offenbach, La petite fabrique des notes, avec humour, légèreté et un brin d’éducation plus que bienvenu pour un public qui ne boude pas son plaisir...
Paris, en plein cœur du XIXe siècle : Jacques Offenbach, de son vrai nom Jacob, compositeur en vue, s’impose comme un des maîtres de l’opéra-bouffe, notamment grâce à Orphée aux enfers, Barbe bleue, La vie parisienne ou encore à La belle Hélène, encore représentés à travers le monde chaque année aujourd’hui. Avec Le roi carotte, celui qu’on aurait alors appelé le « Mozart des Champs Elysées » adjoint même l’épithète féérique, plutôt confidentiel, à l’opéra-bouffe qui l’est beaucoup moins. Mais que reste-t-il d’Offenbach dans la culture populaire contemporaine, si ce n’est son galop infernal d’Orphée, à tout jamais associé au french cancan ?
Pour faire découvrir l’œuvre et le personnage, Isabelle Bonillo met en scène une fable amusante et enlevée, qui place le compositeur sur un paquebot, de retour d’une tournée triomphale aux États-Unis, mais malheureusement touché à vif par le syndrome de la page blanche... Impossible d’écrire une seule ligne de notes pour la valse qui doit accompagner son retour en fanfare à Paris ! Qu’à cela ne tienne, une mystérieuse muse, synthèse – ou plutôt kaléidoscope – de ses plus grandes héroïnes va tout mettre en œuvre, par la parole mais surtout par la musique, pour apporter un nouveau souffle à l’inspiration du maître. Ce dernier est incarné savamment par un Jean Hilger en grande forme, coquet et cocasse, habile au piano autant qu’il semble ingénu à la ville et qui se laisse aller sans grande interrogation aux excentricités de sa partenaire éphémère...
Dans le rôle coloré de l’inspiratrice, on retrouve Colette Kieffer bien loin des personnages sombres et complexes dans lesquels le public luxembourgeois a l’habitude de la voir habituellement, et c’est tant mieux. Quelle belle façon de clôturer une saison intense avec une frivolité assumée et un peu du burlesque rafraîchissant ! Toujours aussi prompte à se grimer, elle incarne tout à tour les illustres femmes qui ont fait le succès du compositeur d’origine allemande : la Grand Duchesse de Gerolstein tout d’abord, aussi altière qu’inconstante en amour, puis la « Belle Hélène » de Troie, dont le charme amènera la guerre et l’infortune, ou encore la patiente Geneviève de Brabant... Mais s’il est une héroïne d’Offenbach que Colette Kieffer sublime sur la scène du Tol, c’est bien Eurydice, convoitée par les hommes et les dieux et que le texte présente joyeusement comme une épouse lassée au dernier degré d’un mari – Orphée – lourd et possessif et semble pouvoir enfin mener sa vie de femme indépendante aux enfers !
Sur le pont illuminé du paquebot qui sert de décor très cabaret à La petite fabrique des notes, les deux personnages se livreront aussi à quelques références au Luxembourg d’aujourd’hui, notamment par le truchement de la Grande Duchesse, invitée fortuite de cette réalisation. « Nation branding », « Let’s make it happen » ou évocations humoristiques de la politique du pays, si ces allusions n’apportent pas vraiment d’eau au moulin de cette réalisation, elles ont au moins le mérite de replacer Offenbach dans un contexte actuel, lui dont sera fêté l’année prochaine le bicentenaire de la naissance. Ce caractère présent, on le retrouve également dans cette panne d’inspiration dont les deux personnages pensent qu’elle sera difficilement pardonnée. Ainsi, sous les traits de l’épouse Herminie Offenbach d’Alcain, Colette Kieffer déclare : « On attend toujours le meilleur des amuseurs publics, et tout de suite », un avis encore bien pertinent aujourd’hui... Un dernier galop pour la galerie... Rideau.