Uber et ses concurrents se bagarrent entre eux et contre les taxis traditionnels, un peu partout dans le monde, pour s’emparer de parts de marché de la nouvelle mobilité. Uber a ainsi annoncé cette semaine un investissement de cinquante millions de dollars pour asseoir ses projets en Inde. Ces bagarres semblent décisives et pourront marquer durablement la façon dont nous nous déplacerons au XXIe siècle. Se pourrait-il que malgré cette irruption d’une forme de modernité technologique face à des structures sclérosées qu’elles symbolisent, elles soient en réalité déjà largement dépassées par les modes émergents de la mobilité ? De fait, Uber, sous ses différentes déclinaisons, tout comme ses concurrents directs comme Lyft, perpétuent un modèle de mobilité qui présuppose un chauffeur dédié, voué de manière professionnelle au transport de passagers. D’autres intervenants réfléchissent aux possibilités offertes par le carpooling d’une part et par les voitures sans chauffeur de l’autre. Face aux surprenantes perspectives qui s’ouvrent avec ces projets, les batailles judiciaires entre Uber et les taxis risquent d’apparaître comme des combats d’arrière-garde.
En Israël, Waze, l’application communautaire qui agrège depuis quelques années les messages des conducteurs engagés dans le trafic pour créer des cartes dynamiques des encombrements des rues et routes et recommander des trajets alternatifs, a commencé à tester dans la zone urbaine de Tel Aviv une application vouée au carpooling. À la différence de Uber qui mise sur la rémunération que cherche à se créer le chauffeur en transportant des mobinautes qui l’ont trouvé grâce à une app, cette nouvelle application, appelée RideWith, vise à grouper les navetteurs aux itinéraires similaires qui peuvent espérer réduire leurs coûts de transport, que ce soit comme propriétaire-chauffeur ou comme passagers, leurs temps de parcours voire se faire de nouveaux amis à la faveur des déplacements communs. Waze prévoit que chaque passager qui s’ajoute à un transport paye par carte de crédit sa participation aux frais du chauffeur, proportionnelle aux kilomètres parcourus, mais rien de plus. Il s’agit donc bel et bien d’un modèle dans lequel l’aspect communautaire prime, mais où la fonction de chauffeur rémunéré tend à disparaître du fait de la limitation à deux voyages par jour intégrée dans RideWith.
Waze, qui est désormais présent un peu partout dans le monde, a été racheté par Google pour un milliard de dollars en 2013. Même si Waze s’en défend, il est parfaitement légitime de supposer que ce test lancé en Israël préfigure l’une des pistes que se prépare à explorer Google en matière de mobilité. L’on sait par ailleurs que Google a fait des pas de géant ces derniers temps avec sa vilaine petite voiture sans chauffeur, régulièrement photographiée en Californie.
Il serait cependant erroné d’opposer Google et Waze d’une part, Uber, Lyft et leurs concurrents de l’autre, en suggérant que le modèle d’affaires de ces derniers s’articule autour de l’existence immuable d’un chauffeur rémunéré. Uber par exemple est lui aussi intéressé à la fois par le carpooling et par les véhicules sans chauffeur, sans oublier ses efforts en matière de cartographie, un domaine dans lequel Google continue d’avoir une longueur d’avance. Il n’y a d’ailleurs pas que les passagers à transporter : une autre dimension qu’explorent les grands acteurs de la mobilité 2.0 est celle des courses effectuées par des véhicules sans chauffeurs, par exemple pour se faire livrer des achats d’épicerie.
Uber est peut-être aujourd’hui la bête noire des taxis, mais ces derniers feraient bien de regarder plus loin : pendant qu’ils attaquent l’app devant les tribunaux pour défendre leurs licences, d’autres intervenants, y compris Uber lui-même, lancent des initiatives qui risquent à terme de les rendre superflus.