Instagram, le réseau social de partage d’instantanés au format carré racheté par Facebook en 2012, a annoncé cette semaine qu’il allait pleinement ouvrir ses flux de photos à la publicité d’ici la fin de l’année. Dès 2013, le réseau avait indiqué qu’il commencerait prudemment à autoriser certaines marques à insérer leurs publicités sur ses flux, en précisant qu’il veillerait à ce que ces publicités n’irritent pas ses utilisateurs. Et de fait, jusqu’ici, la publicité était restée discrète ; les publicités servies, en général des images suffisamment belles pour être perçues comme un apport positif plutôt que comme des sources de mécontentement, n’avaient pas causé de levée de boucliers. Au cours des prochains mois, Instagram va devenir une plateforme exploitable à volonté par les entreprises petites ou grandes, et il y a de fortes chances que cette ouverture s’accompagne d’une invasion d’images de bien moindre qualité.
Lorsque la décision de rendre possible des publicités discrètes avait été prise par le réseau en 2013, le magazine The New Yorker avait réagi avec agacement. Dans un article intitulé « La publicité et la fin de la sincérité d’Instagram », il avait estimé que dès le départ, le plan d’Instagram avait été d’exploiter le flottement conceptuel qui existe entre contenu et publicité d’une nouvelle manière parce qu’il s’agit du réseau social « le plus à même de se réclamer d’un fondement d’émotion authentique », ce qui semble bien circonscrire l’attrait qu’exerce durablement ce réseau social sur les internautes, notamment les très jeunes, souvent utilisateurs passionnés et prolixes. Bien que propriété « d’une des entreprises les plus fondamentalement cyniques » de l’univers technologique, avait estimé le magazine new-yorkais, Instagram avait réussi jusque-là a tout faire « avec sérieux », ce qui lui avait valu d’être perçu par ses utilisateurs comme une plateforme « sincère ».
En mettant le turbo à son aspirateur à pubs, Instagram risque de devoir renoncer à cette sincérité. Le pari de la plateforme et de son propriétaire Facebook est sans doute que ses 300 millions d’utilisateurs constituent une base suffisamment solide pour pouvoir encaisser le départ de quelques mécontents, qui seront d’ailleurs rapidement remplacés par de nouveaux arrivants. D’autant qu’Instagram ne s’arrête pas à la publicité classique : le réseau entend tester des annonces contenant des liens pour des achats directs ou pour l’installation d’apps. Cette dernière fonctionnalité a représenté sur Facebook un chiffre d’affaires de quelque 2,4 milliards au premier trimestre. Le New York Times a cité une estimation de RBC Capital Markets selon laquelle les publicités d’Instagram pourraient rapporter entre 1,3 et 2,1 milliards de dollars de chiffre d’affaires supplémentaire à Facebook rien qu’en 2015.
Les grandes marques sont certes déjà présentes massivement sur Instagram. Mais elles doivent conquérir ceux qui les suivent, ce qu’elles peuvent faire en visant les inconditionnels de leurs produits ou de leurs services. Mais le moyen le plus sûr d’avoir du succès sur Instagram, c’est de publier des photos ou des clips qui séduisent. Si les utilisateurs s’aperçoivent que des marques qu’ils n’ont pas choisies s’immiscent dans leur fil, resteront-ils aussi attachés à la plateforme qu’ils le sont aujourd’hui ?
Comme en 2013, Instagram assure qu’il filtrera les pubs et exclura celles qui pourraient déparer ses contenus. Mais le réseau dispose d’un public jeune et passionné, qui se détournent de Facebook et que les marketers d’un grand nombre de marques regardent avec une énorme concupiscence. Face à l’assaut des publicitaires et à leurs espèces sonnantes et trébuchantes, il semble improbable qu’Instagram soit vraiment en mesure de faire la fine bouche.