Un des principaux logiciels de blocage des publicités sur le Web, Adblock Plus, a remporté une victoire judiciaire remarquée cette semaine en Allemagne. Il s’est vu reconnaître la légitimité de son modèle d’affaires, au grand dam de plateformes qui comptent sur la publicité pour se financer.
Adblock Plus avait déjà remporté une victoire comparable devant un tribunal de Hambourg en avril. La plainte contre Adblock Plus avait été introduite par deux grands groupes de télévision d’outre-Rhin, ProSiebenSat1 et RTL, accompagnés de l’agence de publicité IP Deutschland, régie de RTL, devant la Cour de district de Munich. Les deux groupes faisaient valoir que le logiciel était contraire aux règles sur la concurrence. Le programme anti-pub se présente sous forme d’une extension que l’internaute choisit, si cette possibilité de neutraliser les publicités l’intéresse, de télécharger et d’installer dans son navigateur. Dès lors que ce choix est laissé à l’internaute, il ne peut être question de distorsion de concurrence ; de même, a estimé la Cour, le logiciel de la firme Eyeo, basée à Cologne, ne saurait être considérée comme monopoliste puisque d’autres programmes comparables se disputent les faveurs des internautes. Les télévisions estimaient que permettre à l’internaute d’accéder à leurs contenus présentés sur le Web sans visualiser les publicités disposées sur leurs pages constituaient une infraction au droit d’auteur, argument qui n’a pas non plus été jugé recevable par la Cour.
Les entreprises plaignantes, qui envisagent de faire appel de ce jugement ou de passer à d’autres démarches judiciaires, ont aussitôt affirmé qu’il s’agissait d’une journée triste pour les internautes, Adblock Plus constituant une menace pour la source de financement de tous les contenus offerts gratuitement sur Internet. Le porte-parole de ProSiebenSat1 a estimé que l’activité du logiciel est une « attaque contre la pluralité des médias et la liberté de la presse ».
Eyeo pour sa part a demandé aux éditeurs qui cherchent à rendre Adblock Plus illégal à choisir plutôt la voie de la négociation. Eyeo ne se voit pas en effet comme un Robin Hood cherchant à mettre fin à la publicité, mais plutôt comme un service à l’internaute pour limiter le caractère intrusif des publicités. La firme de Cologne affirme en effet que les publicités jugées non intrusives ne sont pas bloquées, et a appelé les plaignants à participer à des négociations débouchant sur l’inclusion de leurs bandeaux et autres insertions sur une « white list », contre paiement.
La confrontation est donc programmée. Sûres de leur bon droit, les télévisions et leurs régies publicitaires vont vraisemblablement jouer la surenchère et chercher à circonvenir les extensions anti-pub : les startups proposant des techniques avancées de contournement des filtres ne manquent pas. Ce qui amènera ceux-ci à redoubler d’astuces et à multiplier les actualisations de leurs technologies de détection et de leurs listes d’exclusion pour filtrer plus efficacement les publicités indésirables. Et de fait, les filtres anti-pub ont toujours eu, ces dernières années, une longueur d’avance, grâce notamment à leur capacité à faire appel à des internautes bénévoles qui participent à la mise à jour des filtres, proposés à l’intérieur de l’extension comme autant d’abonnements correspondant aux marchés publicitaires (pays ou zones linguistiques).
Il faut reconnaître que la publicité en ligne est de plus en plus souvent irritante, notamment lorsqu’elle clignote ou émet des sons, qu’elle intègre des clips vidéos qui se lancent automatiquement ou qu’elle recouvre les contenus que l’on cherche à visualiser. On est bien loin, avec ces réclames massives et agressives, de la pub personnalisée que nous font miroiter certains publicitaires, qui serait conçue comme une sorte d’info-service sur mesure devançant avec élégance les attentes et besoins du consommateur. Il suffirait pourtant que ces pubs d’un nouveau genre se généralisent et prouvent leur valeur ajoutée pour que les filtres anti-pub perdent leur raison d’être.