Spotify, un des plus grands services de musique par abonnement du Net, qui est aussi un vaste réseau social mettant en contact les mélomanes du monde entier, a annoncé fin avril qu’il allait se mettre à la vidéo. Après que de nombreux réseaux sociaux et agrégateurs ont embrassé la vidéo ces dernières années, dont Facebook et Twitter mais aussi Buzzfeed ou Yahoo, Spotify aurait pu être perçu comme un converti de plus à la cause de la vidéo omniprésente. Pourtant, elle a causé une petite commotion, tant on s’était habitué à percevoir Spotify comme un « pure player » audio, ménageant et vendant cher sa précieuse bande passante. Ainsi, première constatation, l’abondance de bande passante est désormais telle que même un service qui a construit son modèle d’affaires sur la mise à disposition d’un flux relativement peu gourmand peut à présent se mettre à servir des clips sans que cela ne représente un défi technique majeur. Le magazine Wired propose une deuxième explication, plus convaincante, de la conversion de Spotify, tout comme d’ailleurs des nombreux autres réseaux sociaux, médias et autres services qui l’ont précédé, aux images animées : un modèle publicitaire plus performant.
Dans un premier temps, lorsque YouTube, puis Dailymotion et d’autres sites de partage de clips vidéo ont commencé à proposer ce service il y une dizaine d’années, les autres sites se contentaient d’inclure dans leurs pages des liens vers ces sites. Certes, on pouvait les afficher dans une fenêtre sans nécessairement perdre son visiteur. Mais la publicité revenait à YouTube et consorts. Depuis, les réseaux sociaux, les sites des grands médias, les agrégateurs de contenus s’y sont pratiquement tous mis, incorporant eux-mêmes des clips et rachetant dans certains cas des startups spécialisées pour disposer eux-mêmes de technologies performantes. Depuis, la boulimie de vidéos est devenue un phénomène impressionnant. Si YouTube se contente d’annoncer discrètement de diffuser plusieurs milliards de clips par jour, ce qui après tout est son métier de base, Facebook est plus disert et indique en servir quatre milliards par jour, contre un milliard « seulement » en septembre dernier. Une accélération fulgurante qui en dit long sur la marche triomphante de la vidéo sur le Net.
Wired explique que les intervenants du Net qui parviennent à dompter la vidéo bénéficient d’un avantage de taille en matière de publicité. Certes, les internautes cherchent a priori des contenus vidéo originaux, et non de la publicité. Mais les annonceurs savent que ceux qui regardent des clips passent plus de temps sur chaque page et sont plus susceptibles de cliquer sur un lien vers un clip publicitaire que ceux qui se contentent de lire un texte ou de visionner des images. Il y a aussi les clips de vingt ou trente secondes qui passent avant le contenu vidéo qui intéresse l’internaute, une technique qui peut irriter mais qui présente l’avantage d’une projection frontale et incontournable. Wired précise que le secteur de la vidéo numérique a généré un chiffre d’affaires publicitaire de 3,3 milliards de dollars hors mobiles l’an dernier, qu’il met en regard de revenus publicitaires de plus de 70 milliards de dollars pour toute les télévisions américaines sur la même période.
Indécrottable technophile, Wired en conclut qu’Internet ressemble de plus en plus à une télé que l’on transporte dans sa poche. Et même mieux qu’une télé puisqu’on y a beaucoup plus de choix et que chaque internaute peut composer ses propres menus comme bon lui semble.
Mais est-ce vraiment un progrès ? Même à supposer que le niveau des clips proposés s’améliore notablement sous l’effet de la concurrence, comment se départir du sentiment diffus que cette évolution vers de plus en plus de contenus vidéo est en réalité une régression : une sorte de bâtardisation rampante, satisfaisante pour nos instincts reptiliens de couch potato, mais qui risque d’assécher la réflexion et le dialogue qu’Internet était parvenu à redynamiser face au désert télévisuel.