Les logiciels qui bloquent la publicité sur Internet existent depuis belle lurette, en général sous forme de plug-in ajouté au navigateur. Les deux les plus populaires sont Adblock et Adblock Plus. Ils font appel à des listes tenues à jour conjointement par des développeurs et des utilisateurs, les seconds signalant aux premiers, qui les regroupent, les éléments d’URL correspondant à des publicités en ligne. Sans grand effort, les internautes peuvent ainsi surfer sur le web, visitant agrégateurs, médias ou arènes de jeux sans être confrontés aux bandeaux, animations ou clips insérés sur leurs pages grâce auxquels les sites visités espèrent se financer.
Les annonces en ligne sont parfois distrayantes ou informatives, mais il faut reconnaître qu’elles sont souvent intrusives et irritantes, parfois accompagnées de sons intempestifs, qualités qui peuvent déjà suffire pour souhaiter ne pas les voir. Une autre motivation peut être le souhait de surfer plus vite (il faut parfois attendre le chargement des pubs pour attaquer le transfert du contenu principal), voire, pour ceux dont la facture Internet dépend des volumes transférés, pour économiser la bande passante et réduire sa facture. Une autre raison peut être le souhait de se protéger des logiciels malveillants, qui peuvent de fait être embarqués dans des pubs, ou encore de préserver sa sphère privée, les publicités étant typiquement farcies de cookies et autres dispositifs mouchards rendant compte des itinéraires en ligne de ceux qui les visionnent.
Jusqu’à présent, la proportion d’internautes mettant en œuvre ces logiciels de filtrage était suffisamment petite pour que la plupart des annonceurs et des sites ignorent le phénomène. Quelques rares sites conçoivent leurs pages de façon à les rendre inutilisables aux utilisateurs des logiciels filtrants : ils invitent alors leurs visiteurs équipés de ces logiciels à les débrancher le temps de leur visite. C’est le cas notamment des sites des télévisions britanniques ITV et Channel 4, qui, plutôt que d’assister impuissants à la croissance de la proportion de visiteurs équipés de bloqueurs de pub, préfèrent prendre le risque que les internautes renoncent à leurs contenus vidéo disponibles en ligne.
Depuis l’an dernier, ces logiciels de blocage, confinés jusqu’ici à un public relativement restreint d’internautes jeunes et avertis, ont commencé à connaître une croissance suffisamment importante pour commencer à inquiéter les publicitaires et les patrons de grands sites web ayant construit leur modèle d’affaires sur les revenus publicitaires.
144 millions d’internautes, soit cinq pour cent de la population mondiale en ligne, utilisent désormais un logiciel anti-pub. Mais surtout, selon une étude réalisée par Adobe et PageFair et citée par le Financial Times cette semaine, ce nombre a augmenté de 70 pour cent l’an dernier. Il n’était que de 21 millions en janvier 2010. Le phénomène n’est plus marginal ; pour un certain nombre de sites, son impact sur les revenus publicitaires a sans doute déjà cessé d’être anecdotique.
Les publicitaires vont sans doute de plus en plus utiliser des méthodes destinées à tromper les filtres, en modifiant systématiquement leurs noms de domaine et leurs URL et plus généralement en emballant leurs publicités dans des éléments de page de manière à les rendre difficiles ou impossibles à détecter. Plutôt que de chercher une parade définitive contre les logiciels anti-pub, ce qui risque fort de n’être qu’une chimère, certaines agences de publicité en ligne choisissent, surtout si leur cible sont les jeunes, de trouver une faille dans leur dispositif. Cela marchera pour une campagne, mais leur truc sera ensuite éventé et blacklisté. L’entreprise new-yorkaise Secret Media affirme ainsi réussir à montrer dix millions de clips vidéo publicitaires par jour malgré la présence de filtres bloquants. Yahoo Media a racheté l’an dernier la start-up israélienne Clarity Ray, qui est également engagée sur ce créneau. Il faut donc s’attendre à une escalade et à une sophistication croissantes de part et d’autre de ce jeu du chat et de la souris.