Uber

Uber essuie une défaite en Californie

d'Lëtzebuerger Land du 26.06.2015

Uber, employeur ou app ? La question n’en finit par de déchaîner les passions à travers le monde. En France, des chauffeurs de taxi ont choisi cette semaine la violence et l’intimidation pour exprimer tout le mal qu’ils pensent de ce concurrent jugé déloyal. La société Uber, pas encore cotée en bourse mais néanmoins valorisée à 50 milliards de dollars (un montant qui empêche, de fait, de continuer de la qualifier de « start-up ») lors de son dernier round de financement, se définit évidemment elle-même comme une simple app. Elle continue de lever des fonds importants, qui doivent servir notamment à ses intenses activités de lobbying et aux batailles judiciaires qu’elle livre avec ardeur dans la plupart des pays où elle opère.

La dernière péripétie judiciaire révélée il y a quelques jours a toutefois été perçue comme une menace autrement plus sérieuse que celles que font peser sur Uber les guérillas judiciaires lancées un peu partout par les taxis traditionnels. Uber a perdu il y a quelque temps un procès instruit devant le Bureau du Commissaire au Travail de Californie (Labor Commissioner’s Office), une défaite révélée à la faveur de l’appel interjeté par Uber. Récusant le point de vue de Uber, ce Bureau a

estimé que la société devait assumer le remboursement de la totalité des frais encourus par le chauffeur qui la poursuivait, en tant qu’employeur. L’appel de Uber est logique : si la justice américaine, qui plus est dans son État d’origine, entérine son statut d’employeur, ses nombreuses batailles judiciaires à travers le monde risquent de prendre une tournure beaucoup plus défavorable pour elle.

Quels sont les critères qui font qu’une app, qui met en contact des prestataires de service et des clients, est un simple intermédiaire, comme un journal qui mettrait en contact ces mêmes intervenants à travers ses annonces classées, ou un employeur se cachant sous les habits d’une application pour échapper aux réglementations applicables aux professionnels établis ? Uber et d’autres plateformes comme Taskrabbit, qui applique un modèle semblable à celui d’Uber aux courses et autres tâches, confiées à des prestataires réputés « indépendants » (comme les chauffeurs d’Uber), font valoir qu’elles se contentent d’une commission sur les transactions qu’elles ont rendu possibles, les chauffeurs ou garçons de course étant des agents indépendants.

Sans surprise, Uber a exclu que cette décision puisse se généraliser, se montrant confiante qu’elle parviendrait à imposer son point de vue en appel. Mais les experts qui scrutent ces affaires sont moins affirmatifs, estimant que le vent peut aussi tourner en défaveur de Uber et mettre la société dans une situation délicate, en particulier alors que deux « class actions » d’envergure sont en gestation contre elle et son principal concurrent Lyft.

Évidemment, un chauffeur chez Uber n’est pas libre d’établir le niveau de sa rémunération ou la part de ses revenus qui revient à Uber. La société attend aussi de lui un certain comportement, notamment en ce qui concerne les pourboires, soucieuse qu’elle est d’apparaître comme offrant un standard de qualité élevé et prévisible. Uber offre aussi à ses utilisateurs la possibilité de noter les chauffeurs et n’autorise pas tous les types de véhicle, autant d’éléments de contrôle qui font pencher en faveur de la thèse d’une relation d’emploi. Ce n’est en tout cas pas une tâche très facile qui attend les tribunaux appelés à trancher cette question.

La défaite de Uber en Californie (la société a vu le jour à San Francisco), même si elle n’est pas définitive et ne concerne qu’un cas isolé, risque de peser en sa défaveur en Europe, où la législation est en général plus favorable aux salariés qu’aux États-Unis. Si le modèle proposé par Uber et les autres apps comparables, celui de places de marchés pour différents services, devait s’imposer et concerner d’ici quelques années des dizaines, voire des centaines de millions de personnes travaillant dans le monde comme « indépendants », il serait bon de s’assurer que ces personnes bénéficient de conditions de travail dignes.

Jean Lasar
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