Ne plus avoir peur du terme. Lobby. Le dictionnaire définit : « n.m. (v. 1954 ; mot angl.) Anglicisme, Groupe de pression ». « En fait, nous ne réalisons rien, nous n'organisons rien, mais nous faisons un véritable travail de lobbying, » estime Roger Hamen, musicien, mais surtout aussi Mister backline !. Membre-fondateur, Roger Hamen est devenu le président, l'homme de proue, une sorte de porte-parole de l'association de musiciens qui fêtait cette année ses cinq ans. L'occasion de le rencontrer l'autre jour, lui et René Penning, programmateur musical à la Kulturfabrik et membre de backline !.
En cinq ans, bien des choses ont pu être réalisées, la reconnaissance des musiques amplifiées par le ministère de la Culture ainsi que son engagement pour les soutenir un peu mieux n'est pas le moindre acquis. C'est probablement aussi pour une grande partie grâce à Roger Hamen : banquier de jour, proche de la cinquantaine, « il présente bien » comme on dit, il est sans aucun doute perçu comme un interlocuteur sérieux et fiable. Ainsi, il a par exemple réussi que les musiques amplifiées - rock, pop et tout ce qu'il y a entre ces deux - soient reconnues au point d'avoir voix au chapitre, par exemple dans le très lourd et vénérable Conseil supérieur de la musique.
Ses dossiers et textes conceptuels très soignés semblent crédibles, on dirait : l'ébauche du concept étatique pour la future Rockhal à Esch-Belval - un complexe au lieu d'une salle unique, campus comprenant deux salles de concerts, de 3 500 places respectivement 500 places, treize salles de répétitions, des équipements pour enregistrements, des loges et même un centre de documentation - publié en juillet par la ministre Erna Hennicot-Schoepges est largement inspiré des idées développées par backline !. Alors, forcément, l'association fêtait cette nouvelle par un « pot de préfiguration » en septembre dernier, histoire de se réjouir un peu.
Néanmoins, s'il reste beaucoup de travail d'information et de persuasion à faire, « la chose la plus importante que nous ayons réalisée en cinq ans est pour moi que nous ayons réussi à faire se rencontrer les musiciens, organisateurs, programmateurs et autres gens de terrain, » estime Roger Hamen. Ainsi de la soirée anniversaire de backline !, un grand concert gratuit à l'Atelier le 13 octobre dernier (en collaboration avec le festival Live at Vauban) réunissant sous le titre Lëtzebuerger Spezialiteiten (« well dei sin einfach gutt ») une trentaine de musiciens de la scène nationale pour une grande fête de la musique autochtone. « C'était incroyable, se souvient Roger Hamen, il y avait des gens sur scène qui n'avaient encore jamais joué ensemble ».
« Moi par exemple, j'ai rencontré Sascha Lang dans le comité de backline !, raconte René Penning, depuis, nous avons organisé une dizaine de manifestations en commun. » Cela tombe bien : Sascha Lang a l'agence de promotion Get up music et organise l'édition luxembourgeoise du festival de jeunes talents Emergenza et René Penning a deux salles de concerts à programmer durant toute l'année. Car au niveau national, comme surtout au niveau international, le business des musiques amplifiées fonctionne quasi exclusivement sur base de contacts personnels, un bon calepin de numéros de téléphone y vaut de l'or.
Ainsi, Roger Hamen assiste chaque année - comme Petz Bartz, programmateur à Den Atelier - à l'ILMC (International Live Music Conference) grande bourse aux contacts et aux dates de concerts chaque année à Londres. Et il défend la scène nationale au Printemps de Bourges, festival français qui ouvre la saison des concerts et offre un important arsenal de promotion de jeunes formations : y placer un jour un groupe luxembourgeois émergeant serait une aubaine. « Et puis il faudra probablement aussi se résoudre à aller à la Popkomm en Allemagne ou au Midem en France, » soupire Roger Hamen. Le problème est que jusqu'à nouvel ordre, de tels engagements représentent pour lui ou pour tout autre actif prêt à y aller, un investissement lourd en temps et en argent.
Le financement de backline !, comme de toute autre association, se fait majoritairement par les cotisations des quelque 300 membres (cotisations modiques, entre 300 et mille francs, selon le degré d'engagement), ainsi que par un subside se situant aux alentours de 700 000 francs accordé par le ministère de la Culture.
En contre-partie, le ministère trouve en backline ! une association qui puisse défendre la position des musiciens de pop-rock et dont il peut demander l'avis concernant les projets étatiques dans le domaine. Pour le ministère, il s'agit aussi d'un interlocuteur important, connaissant les structures de la prise de décision politique et pouvant lui fournir une information assez complète sur la scène de rock, ce que les quelques fonctionnaires du ministère n'ont pas le temps de faire.
Autres thèmes : les droits d'auteur par exemple. « Depuis que Bob Krieps a repris la direction de la division luxembourgeoise de la Sacem (société française de collecte des droits d'auteur, ndlr.), elle a beaucoup évolué, estime Roger Hamen, mais nous pourrions aussi réfléchir à créer notre propre société de droits d'auteur. » Une telle idée a notamment été défendue par des gens comme Gast Waltzing lors d'une récente grande journée de réflexion réunissant de nombreux créateurs, compositeurs et interprètes - non seulement de musiques amplifiées.
Car jusqu'à cette prise de conscience, rares furent les groupes respectant des contraintes comme le dépôt légal par exemple, la plupart oeuvrant dans une sorte d'underground à la luxembourgeoise. Or, dans ce contexte, tout travail de recherche, toute articulation d'une réflexion, toute estimation d'une possible évolution de la scène autochtone devient un travail de fourmi, sinon impossible, au moins extrêmement difficile à mettre en oeuvre. Les lexiques de l'histoire du rock luxembourgeois de Luke Haas représentent alors une source d'information inestimable.
Dans un tel contexte de professionnalisation de la scène, le site Internet de backline !, régulièrement actualisé, devient vite une référence, un outil de travail pour qui veut se tenir informé des sorties de disques, des débats en cours. En l'absence de réelle promotion de la musique luxembourgeoise par les grandes chaînes de radios commerciales, les musiciens doivent trouver des réseaux parallèles - le festival Sonic Faces qui s'est déroulé le week-end dernier à la Kulturfabrik en est un bel exemple, l'émission Bloe Baschtert sur la radio associative Radio Ara une alternative. Backline ! pour sa part produit régulièrement une compilation appelée Made in Luxembourg, sur laquelle chaque groupe affilié peut figurer avec un titre ; le disque, qu'on ne trouve pas dans le commerce, sert de moyen de promotion, donnant un aperçu de l'état des musiques amplifiées au Luxembourg. « Moi, le genre de musique m'importe peu, résume Roger Hamen, aussi longtemps que c'est bien fait ! »
Parmi les quelque 200 formations actuellement actives au Luxembourg (selon les estimations de backline !), nombreuses sont celles qui cherchent une salle de répétition. Une lettre demandant un tel soutien fut adressée aux 118 communes du Grand-Duché, le lobby des rockeux ne reçut que trente réponses, toutes négatives, sauf une : Echternach se dit prêt à chercher une solution. Chaque fanfare municipale pourtant a sa salle de répétition, c'est toujours un des premiers postes dans le cahier des charges des salles culturelles dans les villages.
L'idéal, pour Roger Hamen, ce serait qu'un des jeunes groupes connaissant un certain succès - comme Low Density Corporation ou, plus récemment, Tiger Fernandez - choisisse de se consacrer uniquement à la musique, de se lancer dans une carrière de musicien professionnel - Paul Urbany, Marc Binsfeld, Änder Hirtt ou lui-même sont autant d'exemples du contraire, de musiciens ayant plutôt opté pour un « vrai métier » et la pratique de la musique en « amateur éclairé ». Tous sont fédérés aujourd'hui pour que les consciences changent peut-être un jour.
Roger Hamen imagine la création d'une sorte de « fonds de soutien », qui permettrait d'accorder des moyens conséquents à celui, celle ou ceux qui choisiraient de faire leur vie avec la musique. Pour que l'ancien club de rockeurs ne devienne pas un « club des chômeurs ».
Pour suivre tout le débat sur les musiques amplifiées au Luxembourg, voir notre dossier À propos rock sur www.land.lu ou directement le site de l'asbl : www.backline.lu.