Permettre la libre circulation des travailleurs sans favoriser le dumping social, tel est le défi pour l’UE, qui douze ans après une directive sur le détachement des travailleurs a remis son travail sur le métier en proposant le 21 mars, un paquet législatif révisant le corpus existant. Car les abus sont importants et bon nombre de salariés provisoirement envoyés par leur employeur dans un autre État membre pour y exercer leur métier ne bénéficient pas des conditions de travail s’appliquant dans le pays d’accueil (salaire minimum, repos obligatoire, congés, droit de grève) comme l’impose une directive de 1996, d’application depuis 1999. En pratique, « bien souvent les travailleurs détachés sont exploités et ne sont pas payés comme ils le devraient », reconnait la Commission. Un million de citoyens européens sont détachés chaque année en Europe dont un quart dans le seul secteur de la construction où ces dérives sont patentes. Les pays qui envoient le plus de travailleurs détachés sont la Pologne, l’Allemagne, la France, le Portugal et le Luxembourg.
« La libre prestation des services dans le marché unique représente un potentiel de croissance très important. Mais les règles doivent s’appliquer pareillement à tous », a rappelé José Manuel Barroso, le président de la Commission. La révision de cette directive sur les travailleurs détachés avait pour objectif de rétablir l’équilibre en matière de liberté économique dans les 27 en termes de droits sociaux fondamentaux
Les propositions de la Commission entendent améliorer la façon dont la directive est appliquée dans la pratique. Bruxelles a proposé deux textes : une directive d’application, qui doit améliorer la transposition et la mise en œuvre effective de la directive actuelle et un règlement (appelé Monti II) clarifiant l’exercice des libertés d’établissement et de prestations de services avec les droits sociaux.
La directive d’exécution devrait mettre fin aux sociétés boites aux lettres qui utilisent le détachement pour contourner les règles en matière d’emploi. Elle introduit le principe responsabilité conjointe dans le secteur de la construction pour les salaires des travailleurs détachés et le traitement des plaintes. La Commission permet en outre aux États membres d’étendre cette disposition – qui porte uniquement sur la relation entre le sous-traitant et le contractant principal – à d’autres secteurs s’ils le souhaitent. Des mesures qui sont déjà en vigueur dans huit États membres ainsi qu’en Norvège.
La proposition clarifie par ailleurs les règles de coopération au niveau des autorités nationales compétentes en matière de détachement et définit la portée de la surveillance assurée par les autorités nationales concernées, ainsi que leurs compétences.
De son côté, La proposition de règlement Monti II entend particulièrement répondre aux craintes exprimées à la suite d’arrêts de la Cour de justice de l’UE (arrêt Viking et Laval, entre autres), selon lesquelles, dans le marché unique, les libertés économiques (droit d’établissement et libre prestation des services) primeraient sur les droits fondamentaux (tels que le droit à la négociation collective et le droit à l’action syndicale). Le texte essaie de concilier droit fondamental et liberté fondamentale, l’un ne pouvant pas aller au-delà de ce qui est approprié, nécessaire et mesuré aux fins de la réalisation de l’autre et inversement. Il instaure aussi un nouveau mécanisme d’alerte rapide pour les conflits sociaux aux conséquences graves dans des situations transfrontalières et établit le principe de l’égalité d’accès aux institutions de règlement extrajudiciaire des conflits existantes (telles que la médiation, la conciliation ou l’arbitrage), permettant ainsi aux partenaires sociaux européens – dans la limite de leurs compétences – de conclure des accords au niveau de l’UE ou établir des lignes directrices pour le règlement extrajudiciaire de litiges.
Au Parlement européen, les socialistes se sont immédiatement opposés aux propositions de la Commission, qui ne résolvent « pas le problème du dumping social en Europe et sont contre les traités internationaux, tels que les conventions de l’Organisation internationale du travail ». Les démocrates-chrétiens, quant à eux ont mis en relief les risques de nouvelles charges bureaucratiques pour les entreprises européennes.
Un fardeau administratif et des coûts de mise en conformité que condamnent Businesseurope, l’organisation qui représente les employeurs privés dans l’UE, qui par ailleurs soutient le principe de cette directive. La Confédération européenne des syndicats a salué les propositions visant à renforcer les droits des travailleurs détachés, mais elle a ajouté qu’elles étaient trop faibles pour lutter contre le dumping social. Elle a également rejeté la révision proposée du règlement Monti II, affirmant qu’elle ne permettait pas de régler les problèmes qui ont émergé lors des affaires Viking et Laval. Les négociations au Parlement et au Conseil s’annoncent houleuses.