Lorsqu’on publie, dans le domaine littéraire et linguistique luxembourgeois, un livre scientifique, le travail sur l’« identité » semble inévitable, vu la littérature polyglotte, ou autrement dit, les trois littératures de ce pays. En 2006, Marion Colas-Blaise et Jalel El Gharbi avaient publié l’ouvrage collectif Identités. Il s’agissait de plusieurs analyses critiques de textes luxembourgeois, rédigés par de jeunes chercheurs tunisiens. Sous la direction de Claude D. Conter et de Germaine Goetzinger vient maintenant de paraître le livre Identitäts(de)kontruktionen, Neue Studien zur Luxemburgistik une co-publication des éditions Phi et du Centre national de littérature.Les contributions réunies dans ce livre (toutes rédigées par de jeunes chercheurs luxembourgeois : Claude D. Conter, Jeanne E. Glesener, Pierre Hellmann, Sarah Lippert, Myriam Sunnen et Tonia Raus) ont déjà été présentées sous forme d’exposés lors du séminaire Nei Tendenzen an der Recherche iwwert d’Lëtzebuerger Literatur, qui s’est tenu le 17 février 2006 au CNL à Mersch.
Questions d’identité donc, un vrai problème pour les auteurs de ce petit pays écrasé par ses imposants voisins : choix des langues, brassage des cultures (le terme « Mischkultur » est partout). Jeanne E. Glesener met ainsi en avant les points d’intersection entre la littérature luxembourgeoise et la littérature de la migration, en s’appuyant sur les textes de Jean Portante et de Dana Rufolo. Pierre Hellmann nous montre le portrait plus qu’acerbe que fait Marcel Noppeney du « boche », ainsi que sa délirante revendication de la supériorité de la culture et littérature française, dans Contre Eux, publié en 1953.
Sarah Lippert montre comment, dans les romans Schacko Klak, De Papagei um Käschtebam et Feier a Flam, de Roger Manderscheid, la langue luxembourgeoise, par opposition à l’allemand, au français et à l’anglais, sert de constructeur d’identité. Selon elle, Manderscheid sort la langue luxembourgeoise de la « Rumpelkammer der Heimatgesänge und kulturellen Minderwertigkeitskomplexe » pour la mettre au même niveau littéraire que les langues de nos voisins. Myriam Sunnen, quant à elle, évoque le paysage luxembourgeois dans la littérature, d’Ausone à Nico Helminger, en passant par nombre d’auteurs luxembourgeois peu connus qui chantaient, d’une façon ou d’une autre, leur idyllique petit pays, tels Willy Goergen, Marcel Noppeney, Jean-Pierre Erpelding ou encore Nicolas Ries.
Attardons-nous quelques instants sur les articles de Claude D. Conter et de Tonia Raus, qui semblent particulièrement intéressants. Conter nous livre un assez riche survol de l’histoire de la philologie luxembourgeoise à partir du XIXe siècle. Il dresse la liste des auteurs d’ouvrages critiques, de l’Essai sur la poésie luxembourgeoise (1854) de Felix Thyes, jusqu’au Dictionnaire de la francophonie du grand-duché de Luxembourg (1999) de Frank Wilhelm. Il pose ensuite la question de l’existence d’une histoire littéraire luxembourgeoise, vu le problème des trois langues, des trois littératures, et de l’absence relative des structures scientifiques, et donc de philologie, jusque dans les années 1990. Il définit ensuite les conditions de l’émergence de la « Luxemburgistik » en tant que nouvelle discipline scientifique universitaire. Les premières briques sont ainsi posées.
L’article de Tonia Raus a le mérite de ne pas réellement se laisser assimiler à cet ouvrage collectif. Il s’agit, pour une fois, moins d’une analyse des problèmes d’identité, mais de ceux de l’énonciation, de la structure, de l’intertextualité chez Sorrente. Car même si les questions liées au sujet de l’identité, des trois langues, de la Mischkultur, sont à jamais ancrées dans la production littéraire de notre pays, je pense qu’il est nécessaire de ne pas négliger pas les analyses littéraires, c’est-à-dire les analyses de la complexité textuelle de certaines œuvres (si complexité il y a, et Sorrente s’y prête à merveille), et donc de faire l’effort d’aborder les auteurs luxembourgeois comme des « littéraires » et non pas comme des « médiateurs » culturels.
Ceci dit, Identitäts(de)konstruktionen est un livre utile et nécessaire dans le domaine de la recherche littéraire luxembourgeoise, qui évidemment, va grandissant ces derniers temps, et à part quelques inadvertances, dues probablement à la relative jeunesse de la publication scientifique littéraire luxembourgeoise (par exemple dans un ouvrage collectif réunissant différents auteurs, les notes explicatives sont normalement placées à la fin respective de chaque article et non pas, en un bloc, à la fin du livre), cet ouvrage est un pas réussi dans son domaine.
Claude D. Conter, Germaine Goetzinger : Identitäts(de)konstruktionen – Neue Studien zur Luxemburgistik ; Éditions Phi [&] CNL, 2008, 160 pages, 19 euros ; ISBN : 978-2-87962-251-4