Enrico Lunghi est un phénomène dans le paysage culturel luxembourgeois. Infatigable, le directeur artistique du Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain voyage le monde en quête de connaissance sur l’art et de contacts d’institutions internationales avec lesquelles s’associer ; au Luxembourg, il programme les expositions de la petite Kunsthalle depuis sa pérennisation en tant qu’asbl en 1996 et assure le commissariat ou le co-commissariat de presque toutes, soit quatre ou cinq par ans. À côté, il trouve le temps de militer pour la cause de l’art contemporain au sein de l’association internationale des critiques d’art (Aica) ou du Luxembourg culturel en assurant la présidence de l’IKT (International association of curators of contemporary art) ainsi que de publier une rubrique régulière, intitulée « Vous avez dit art contemporain » dans le supplément Kulturissimo du Tageblatt. Et, depuis l’année dernière, des romans. Après le roman de voyage Le crépuscule d’un rêve américain – Le long de la Route 66 en 2007, les Éditions de l’Officine parisiennes, spécialisées dans ce qu’elles appellent « la micro-édition » – l’équivalent de Books on demand, c’est-à-dire la réimpression sur mesure du nombre de livres commandés –, viennent de publier Morts au musée – Histoire d’art et de sang. On se demande vraiment comment il trouve le temps d’écrire autant. Bien que se présentant comme un roman policier, qui se passerait dans des lieux d’exposition – on pense à la nouvelle Karnaval de son ami Tullio Forgiarini (Mudam, 2006) –, Morts au musée est en fait un roman à clé qui permet à Enrico Lunghi de laisser libre cours à ses réflexions personnelles sur le microcosme socioculturel dans lequel il évolue au quotidien, en gros de dire tout ce qu’il avait sur le cœur sur le Luxembourg, les musées et la faune qui les peuple. Au plus tard en lisant l’avertissement de rigueur en troisième de couverture, « Tous les personnages sont inventés. Seules les œuvres d’art évoquées existent réellement », le lecteur ne peut s’empêcher de chercher les ressemblances et références à Jo Kox (parti faire une course à pied en Mongolie), Marie-Claude Beaud (toujours en voyage), Paul Reiles (exquis) et autres membres de ce club sélect de directeurs d’institutions au Luxembourg. Car tout le contexte est réaliste et clairement identifiable.L’histoire policière est rudimentaire : en l’espace de quelques jours, trois personnes meurent dans trois musées différents, au Mudam, au Casino et au Musée national d’histoire et d’art, et bien que tout indique une mort naturelle ou accidentelle dans les trois cas, des coïncidences bizarres pourraient non seulement révéler qu’il s’agit de meurtres, mais qu’en plus, ils pourraient avoir un lien entre eux. C’est Antoine, un jeune journaliste français, qui a suivi sa partenaire Véronique, d’origine luxembourgeoise, au grand-duché et fait des piges pour un hebdomadaire local, qui découvre ces mystères, alors qu’il devait en fait enquêter sur la mort de la première victime, Robert Wagner, mort en regardant la vidéo Mondo Veneziano d’Antoine Prum. Robert Wagner – une contraction de Robert Brandy et Roger Wagner ? – était « un peintre d’ici dont tu n’as certainement jamais entendu parler », un de ceux qui se sentirent trahis lorsqu’ils comprirent que les choix du Casino ne les incluaient pas dans la programmation. La rédactrice culturelle du journal avait lancé à Antoine le défi d’en faire un symbole : « La mort d’un peintre d’envergure locale devant une vidéo encensée par la critique internationale [comme] métaphore pour décrire les changements intervenus dans le pays ».Cet Antoine, jeune et enthousiaste, optimiste et plein d’entrain, curieux et érudit, hédoniste et modeste est sans aucun doute l’alter ego d’Enrico Lunghi. Mais l’auteur en fait intervenir un deuxième, sous la personne de Luigi di Lauro (sic), directeur artistique du Casino Luxembourg (re-sic), qui, bien qu’étant un grand blond aux yeux bleus avec un penchant pour la bouteille, n’en est pas moins d’origine méditerranéenne et aime les grandes marques de vêtement italiennes. Les rencontres entre les deux, Antoine et Luigi, pourraient tout aussi bien être un monologue résumant la vue de l’auteur sur le monde, ses observations sur les richesses et les travers de la société luxembourgeoise en général – proximité voire promiscuité, pression sociale, avec des réminiscences de paranoïa de la guerre froide – et culturelle en particulier : pauvreté de la critique, absence d’une véritable intelligentsia, mélange entre local et national, l’éternel débat entre centre et périphérie, retard considérable de la scène artistique… Entre les événements extraordinaires et les rencontres qui s’ensuivent, notamment une scène de sexe dans les cabines d’essayage de feu Monopol, Antoine est un flâneur qui profite du temps qu’il a pour découvrir la ville de Luxembourg, celle d’Esch, les musées. Ainsi, on y lit notamment des observations intéressantes de la part d’un membre du Conseil d’admi-nistration de la Fondation d’art moderne grand-duc Jean, qui gère le Mudam, sur le bâtiment d’I.M. Pei : « La proportion des espaces et l’effet théâtral produit par la succession des points de vue et des voies de circulation impressionnèrent Antoine. Ils étaient incontestablement la signature d’un architecte maîtrisant son art et son métier. Toutefois – Antoine en était persuadé désormais – ce virtuose ne devait pas vraiment aimer l’art : rien, en ce lieu, ne permettait son épanouissement. »Morts au musée est un roman de gare, un ouvrage qui se lit vite, sans grandes prétentions littéraires. Une lecture estivale légère, didactique dans ses descriptions d’œuvres d’art contemporaines et très bienveillante, voire patriotique dans sa description de Luxembourg et de ses légendes noires. Un brin de méchanceté et une bonne dose d’humour ne lui auraient certainement pas fait de mal.
Enrico Lunghi : Morts au musée – Histoire d’art et de sang ; Éditions de l’Officine, Paris, mai 2008 ; 226 pages, 17,50 euros ; ISBN : 978-2-35551-023-6.