En réalité, de Jean Portante, publié chez Phi dans la collection Graphiti que l’auteur dirige lui-même, est un de ces recueils de poésie qu’il ne faut pas lire d’un trait, mais en le délaissant et en le reprenant régulièrement. Ce conseil est bien évidemment valable pour la plus grande partie de la poésie moderne qui, loin de nous raconter une histoire, nous fait voir des images parfois difficilement saisissables.
De même Jean Portante. Dans ce dernier recueil, divisé en quatre parties (« En réalité, les éléments » ; « En réalité, les choses » ; « En réalité, le cerf » ; « En réalité, les mots »), l’auteur nous livre un mélange de sensations, de réflexions, de très brefs souvenirs ou instants de vie. Le ton du recueil est très mélancolique, doux, mais le texte coule, entraîne, dû – entre autres – au rythme fluide, à l’absence de ponctuation (du moins dans les trois premières parties, les textes de la quatrième, provenant d’un petit recueil à tirage limité, Je veux dire, paru en 2007 aux éditions Estuaires, font une grande utilisation du double point : l’auteur se réexplique sans cesse, recherche d’autres mots, impressions, situations, pour mettre en lumière les mots, impressions et situations précédentes).
Le jeu de la forme reste, comme pour les recueils précédents, très important pour Jean Portante. Si dans la première et la dernière partie la longueur des strophes, des poèmes est très inégale, les textes des deux parties du milieu suivent des règles plus strictes : sauf une seule exception, tous les poèmes de la deuxième partie sont composés de deux quatrains avec enjambement d’une strophe à l’autre, ainsi que des points de suspension au début et à la fin, pour assurer une espèce de continuité, de longue respiration. Les poèmes de la troisième partie sont (et l’auteur nous indique qu’ils ont été écrits après un voyage au Japon) beaucoup plus brefs, composés uniquement d’un tercet et d’un distique par poème. Ils se présentent presque tous comme une interrogation : « Le jour vient-il seul/ sans l’eau claire de la nuit/ pluie sans âge précis/ cerf imparfait qui trouve/ le chemin sans le chercher ». Ces poèmes font bien évidemment penser aux célèbres haïkus japonais, dont ils ont en commun une certaine beauté elliptique, une extrême recherche du mot juste.
À cela s’ajoute chez Portante une très grande sensibilité quant à la plasticité de la langue. Un certain travail rhétorique (les assonances, allitérations, paronomases, mais aussi les oxymores, les zeugmas – l’auteur mêlant le concret et l’abstrait, les hypotyposes), un certain éclat de la langue, dit parfois plus qu’une vaine tentative de reconstitution d’une éventuelle réalité. Ladite réalité, à laquelle renvoie le titre du recueil, est donc plutôt à retrouver du côté du texte, de sa composition, de ses lieux.
Car essayer de comprendre les textes – qui sont parfois empreint d’un mystérieux et opaque symbolisme – de Portante s’avère plus difficile. Dans la dernière partie, plus intimiste, l’auteur s’adresse souvent à une personne inconnue, reprend des souvenirs, les mêle à des réflexions. Un lexique récurrent se remarque, surtout dans la première partie, à savoir celui des quatre éléments, et de toutes les matières, visibles ou invisibles, qui composent cette planète (nous retrouvons souvent une espèce d’admiration devant les phénomènes de la nature : le ciel, les nuages, le souffle de l’air, les étoiles, la poussière, les météorites) mais aussi celui du temps, autre élément que l’auteur tente de saisir, de comprendre. L’écriture (ses désirs et frustrations) est bien sûr également une thématique qui revient.La poésie de Jean Portante est sans doute exigeante, les images (où l’abstrait affronte le concret et le mot affronte la chose qu’il dit) pas toujours compréhensibles, mais le résultat est tout à fait intéressant, et le lecteur qui se prend le temps de lire ces poèmes ne sera pas sans y découvrir une certaine – et réelle – beauté.
Jean Portante : En réalité ; Éditions Phi, collection Graphiti, juin 2008, 144 pages ; ISBN 978-2-87962-253-8