Édito

Archaïque

d'Lëtzebuerger Land du 31.01.2020

« Roturière, rebelle et Cubaine : était-ce un peu trop pour devenir la grande-duchesse du Luxembourg ? », demanda le correspondant pour la Belgique du Monde, Jean-Pierre Stroobants, dans un bref article publié par le quotidien français en juillet 2002, après l’épisode des confidences que Maria Teresa Mestre avait faites à la presse sur sa belle-mère, Joséphine-Charlotte, qui, selon elle, l’aurait traitée de « petite Cubaine ». Le 7 octobre prochain, le grand-duc Henri fêtera le vingtième anniversaire de son accession au trône, et il ne pourra que constater que son règne fut ponctué d’affaires et de scandales, dont certains, mais pas tous, sont en rapport avec les ambitions de son épouse de s’inventer un rôle de souveraine que la Constitution ne lui attribue nullement. Au contraire, l’époux ou l’épouse du souverain n’y est même pas évoqué.

Il était 10 heures ce lundi 27 janvier – le grand-duc était en voyage pour la commémoration des 75 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau – quand un courriel du Service de presse de la Cour grand-ducale arriva sur les serveurs des rédactions. En annexe, un « message de Son Altesse Royale le Grand-Duc » en quatre langues (espagnol, français, anglais et luxembourgeois), écrit la veille à Genève « au chevet de mon beau-frère aux soins intensifs ». La missive très émotionnelle signée « Henri » prend surtout passionnément la défense de son épouse – « pourquoi attaquer une femme ? » – et promet néanmoins que « nous allons continuer à vous servir ». Il réagit ainsi directement à l’article du Land du 17 janvier relatant les reproches de gestion erratique du personnel à la Cour et évoquant une possible abdication du grand-duc suite au rapport Waringo, dont la publication est attendue aujourd’hui, vendredi 31 janvier. Cet article fut largement repris par la presse nationale et internationale, jusqu’au El País espagnol (« La monarquía de Luxemburgo tiembla por la publicación del informe Waringo »). Selon les sources du Land, Xavier Bettel était furieux de ce courrier, dont ni lui ni le maréchalat n’étaient informés en amont. À tel point que les deux hommes ne se seraient pas adressé la parole durant le vol vers la Pologne.

Depuis lors, les opinions divergent entre ceux qui défendent la vie privée de la famille grand-ducale (le ministère d’État, interrogé sur la nécessité d’un contreseign ministériel selon l’article 45 de la constitution, considère désormais qu’il s’agissait d’une lettre privée) et ceux qui estiment que les onze millions d’euros de dotation publique impliquent un contrôle financier en toute transparence. Et les constitutionnalistes avisés s’interrogent sur la frontière entre les deux sphères, privée et publique. Mais « le privé est politique » savaient déjà les féministes des années 1970. Il serait effectivement très naïf de ne mettre la crise actuelle de la monarchie que sur le seul compte du caractère imprévisible, voire cholérique de la grande-duchesse – bien qu’elle l’exacerbe.

En réalité, au-delà d’être un oxymore, la « modernisation de la monarchie » que le couple grand-ducal promet depuis vingt ans a été un échec total. Aucun des nombreux consultants, experts en relations publiques et autres auditeurs qui sont passés par la Cour n’ont réussi à colmater les brèches entre société moderne et modes de gestion qui rappellent l’absolutisme. Cent ans après la courte aventure d’une République luxembourgeois, le gouvernement DP/LSAP/Verts, et surtout le très impatient Premier ministre Xavier Bettel (DP) a décidé de s’immiscer dans les affaires de la Cour, dont le gouvernement est au final responsable. Parce que le droit du travail y est applicable, par exemple. Et parce que, plus que de ragots sur la grande-duchesse, il s’agit de rien de moins que du rôle du chef de l’État, que le projet de réforme de la constitution prévoit de limiter à la seule représentation. Mais la famille de Nassau-Mestre est aussi extrêmement dévote, ce qui avait mené à la crise constitutionnelle de 2009, dans le cadre de la loi sur l’euthanasie que le grand-duc refusa de signer. Un gouvernement de modernisateurs, dont un des plus grands acquis fut la séparation de l’Église et de l’État lors de la précédente législature, n’est pas vraiment compatible avec cette interprétation archaïque de la monarchie constitutionnelle.

josée hansen
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