Lisa Kohl. La jeune femme, travaille dans ce qui est considéré comme une « niche » sur le marché de l’art : la photographie. L’artiste plasticienne luxembourgeoise, née en 1988, qui a étudié la sculpture à La Cambre à Bruxelles y excelle et l’exposition In Absence, qui réunit deux séries de travaux récents, Halidom et Blindspot de 2022, ainsi qu’un diptyque vidéo de 2017, In Silence, résume une carrière fulgurante de cinq années seulement.
Lisa Kohl fait le buzz, depuis 2018, avec ce médium : bourse de la Kunststiftung Sachsen-Anhalt. Elle reviendra d’une résidence à Los Angeles avec la série Shelter, ses premières silhouettes enveloppées de tissus. Aux Rotondes, en 2019, elle expose Exit. La présentation de son travail, en 2020 au Cercle Artistique (CAL), lui vaut le prix Pierre Werner, suivi très vite par sa sélection pour les Rencontres Photographiques d’Arles par Lët’z Arles. Erre, l’exposition et la publication, rassemblent ce que Lisa Kohl voit, dans les lieux d’accostage des candidats au rêve occidental, à ses frontières en Méditerranée, entre les États-Unis et le Mexique ou aux confins de l’Europe de l’Est.
Dans tous ces travaux, si l’eau est porteuse d’espoir, comme les longs trajets à traverser des paysages, les plages accueillent des résidus de vie, l’herbe, la trace du passage d’êtres humains dont les pauvres restes l’écrasent. Ces lieux sans nom sont les sanctuaires de tentes, bâches, couvertures et simples étoffes qui ont servi à se protéger du froid ou à se cacher. L’engagement humanitaire de Lisa Kohl est indéniable dans ses témoignages photographiques
Mais elle est une artiste et pas une photo-reporter. La couleur de l’eau et du ciel (bleu et gris), les paysages de frontières et de déserts (roches, terres nues, végétation aride) et les tissus, (multicolores par nécessité) deviennent dans In Absence, à la Reuter Bausch Gallery, par la beauté, la vision sculpturale, l’esthétique, un hommage aux humains invisibles.
La galeriste le sait fort bien et trois « ancrages » dans l’éthique de Lisa Kohl sont le point de départ et la fin de l’accrochage de l’ensemble des huit prises de vues de Halidom : un tissu couleur du feu brûlant comme l’urgence vole sur le premier paysage que l’on voit depuis la rue à travers la vitrine et Blindspot, une tente multicolore sur un fond non identifiable mais ancrée sur un sol carrelé raffiné clôt les huit prises de vue. Enfin, tout au bout de la galerie, voici le bleu mousseux de l’océan (In Silence), que l’on découvre une fois passé l’arrière noir des écrans. On se retrouve tout près de l’eau, comme la proue d’u navire qui fend la mer mais ce qu’on entend, c’est sa sonorisation comme si on était tout au fond de la cale de l’embarcation.
D’aucuns pourraient dire que l’esthétisation de Halidom – tissus de soie aux couleurs subtiles, paysages montagneux, désertiques ou maritimes choisis comme arrière-fonds parfaitement raccord, ciels à l’avenant et prises de vue à l’heure exacte où l’ombre et la lumière font que la prise de vue frontale est parfaite – est, de la part de Lisa Kohl, trahir ce qu’elle appelait « montrer le non-montrable, exprimer ce qui ne peut être exprimé, rendre visible ce qui ne peut être vu et construire ainsi un rapport de tension entre le réel et la représentation » dans une interview de 2021 à propos de son travail socio-politique.
Il nous semble, au contraire, dans cette maîtrise parfaite de l’image, la qualité des tirages, le fondu-enchaîné entre la couleur du tissu ou sont contraste avec le paysage choisi, voir un rapprochement avec l’histoire de la peinture et pour ceux qui croient, la recherche de la perfection pour les représentations de la foi catholique. Car oui, avec Halidome, on tend vers la perfection qu’ont atteint certains peintres dans la représentation des plis et replis des robes chatoyantes des Vierges et des anges, ainsi que des riches commanditaires des tableaux, réalisés dans les ateliers des peintres, italiens et flamands il y a cinq cent ans.
Ils savaient jouer de la lumière de manière exceptionnelle et Lisa Kohl s’inscrit ainsi dans la continuité de cette tradition, avec un média contemporain, qui sculpte des tissus moulés par le vent. L’artiste plasticienne puise même plus loin en arrière. Comment ne pas voir dans une silhouette en tissu blanc devant des roches blanches, le marbre ailé de la Victoire de Samothrace ? Ou la silhouette et la chevelure de la Naissance de Vénus de Botticelli ?…
« L’objectif de mes créations est de traduire mes expériences, mes sensations » disait encore Lisa Kohl dans l’interview qu’elle accordait à Godefroy Gordet dans le magazine en ligne culture.lu en juin 2021, qui n’hésite pas non plus à « simuler » la Vierge de la Grotte de Lourdes…. Dont ne dit-on pas que l’eau sauve ?
La série des silhouettes de Halidome, érige en tout cas des monuments symboliques aux invisibles de notre époque. Les liens avec l’histoire de la peinture leur confère quelque chose d’universel. Et la recherche de Lisa Kohl pour ses prises de vue de lieux des confins, qui parlent d’une traversée difficile, au-delà de leur aride beauté est bouleversante.