La galerie nationale d’art luxembourgeois ne verra sans doute jamais le jour et, en visitant l’exposition 50 Joer Lëtzebuerger Konscht, on se dit qu’on a échappé au pire : rassembler en un même lieu des dizaines d’artistes pour embrasser l’histoire de l’art récente du Luxembourg, avec ce que cela suppose de disparité de styles, de médiums, de formats, de thématiques, d’ambition, de reconnaissance et de niveaux, même. Un exercice périlleux qui se conçoit assez bien dans un livre – l’important volume qui accompagne l’exposition en est la preuve – mais beaucoup moins sur des cimaises, surtout dans un espace plutôt destiné aux agapes des clubs locaux qu’à l’exposition d’œuvres d’art.
Le premier péché des organisateurs, le Lëtzebuerger Artisten Center (LAC) est d’abord de vouloir trop en faire. Si on veut bien faire une analogie footballistique, Jean Fetz, le président de cette association quarantenaire, n’a pas joué son rôle de sélectionneur en ne choisissant pas entre les différentes divisions (de la première ligue à la promotion d’honneur). Son équipe s’en trouve disparate, pléthorique – 203 œuvres de 72 artistes – et la stratégie de jeu illisible. Pour ne rien simplifier, le terrain est semé d’embûches : un éclairage approximatif, des décors au sol difficilement oubliables, des cimaises qui ont connu des jours meilleurs, un parcours illisible (avec des œuvres accrochées dans le vestiaire ou dans les couloirs, des demi-étages répartis sur des ailes différentes, des perspectives encombrées…). Le visiteur consciencieux jouera donc le rôle d’arbitre pour faire le tri et retenir ce qu’il pourra. Stoppons là la métaphore. Jean Fetz, se voit comme une sorte de missionnaire de l’art luxembourgeois, se donnant pour devoir d’en montrer un maximum de représentants. Il y a deux ans, les mêmes lieux (avec les mêmes réserves quant à l’accrochage et à la mise en valeur des œuvres) accueillaient l’exposition 100 Joer Lëtzebuerger Konsch, également concoctée par le LAC et allant de Joseph Kutter à Marco Godinho ou de Nico Klopp à Su-Mei-Tse. L’organisateur s’était vu reproché de ne pas assez bien traiter de l’art des dernières années. Il a donc repris son bâton de pèlerin pour poursuivre son travail. Comme les œuvres plus récentes sont plus faciles à trouver, que les artistes vivants sont susceptibles et que l’histoire de l’art n’a pas achevé son mécanisme d’entonnoir sélectif, on se retrouve avec encore plus d’artistes et plus d’œuvres.
Alors, non, tout n’est pas à jeter dans cet ensemble prolifique. L’intérêt de l’exposition est de rassembler des œuvres en grande partie issues de collections privées ou rarement montrées. Plusieurs communes, certains musées, quelques banques, le ministère de la Culture et surtout de nombreux particuliers ; en tout, 48 prêteurs ont répondu favorablement aux demandes des commissaires de l’exposition, Jean Feltz et Romain Schumann. Ce dernier la longtemps été en charge de la collection de la BCEE. Ils ont aussi le mérite d’avoir sélectionné certaines œuvres anciennes d’artistes toujours actifs, ce qui donne une perspective intéressante sur leur travail. Ainsi, la toile Der Rest ist Wurscht (1988) ou Sans titre (1990) de Jean-Marie Biwer font voir un peintre plus expressionniste, plus abstrait, plus allemand a-t-on envie de dire, qu’aujourd’hui. Lockerungsübungen für gute Freunde, une peinture à l’huile de 1989, fait découvrir un Antoine Prum d’avant ses interventions cinématographiques. À l’inverse, un dessin de Robert Brandy de 1999 fait ressortir le côté figuratif de l’artiste, tandis que les sculptures de 2005 de Marie-Josée Kerschen montrent sa constance.
On ne peut que se réjouir de la place de choix offerte à Bert Theis. Il faut monter quelques marches pour rejoindre la scène qui surplombe la salle. Sur d’épais rideaux noirs, on retrouve deux grandes images où les villes de Paris et de Turin son envahies par la végétation. Les plus hauts bâtiments sont les seuls à apparaître de ces amas d’arbres. Cette série Aggloville de 2007 fait aujourd’hui, encore plus qu’à l’époque, figure d’utopie, terme qui est une sorte de fil rouge dans le travail de l’artiste. L’exposition présente ainsi plusieurs affiches qu’il a réalisées au fil des années, issues de son fonds d’archives. De réjouissants appels à telle manifestation ou tel engagement (contre Cattenom, pour le vote des étrangers, pour un événement culturel…). L’exposition a aussi le mérite de présenter des œuvres (très) récentes, comme la série de photos Caffeine Memory de David Brognon et Stéphanie Rollin (2022), la toile Anéantir de Filip Markiewicz (2022). Le défi de montrer des œuvres peu connues des artistes est donc rempli.
Le livre de plus de 300 pages qui accompagne l’exposition ajoute des notices biographiques bienvenues, simplement classées par ordre alphabétique et quelques interviews. Des textes thématiques – sur l’histoire de l’art luxembourgeois (Paul Bertemes), la participation luxembourgeoise aux Biennales de Venise (Enrico Lunghi), sur la collection du ministère de la Culture (Claudine Hemmer et Lisa Baldelli) ou sur les duos d’artistes (Lucien Kayser) apporteront un éclairage complémentaire au grand public, la cible de cette exposition.