Voilà un premier bienfait de l’exposition Michel Majerus, Sinnmaschine, au Mudam : elle nous rajeunit, d’une trentaine d’années. Elle nous ramène par exemple à l’exposition de l’artiste à la Kunsthalle Basel – Peter Pakesch en était l’initiateur – rien que par le fait que là, déjà, nous marchions sur un plancher métallique industriel, aux pas qui résonnaient dans un lieu pris normalement dans le silence. En plus, au Kirchberg, plus loin, une fois les panneaux de Sinnmaschine contournés, on a le salut du chat, le mot est au féminin en allemand, si familier aux premiers tableaux de Michel Majerus, celui-ci date de 1993, et montre le félin dans un paysage hivernal, en belle communion, du moins semble-t-il, avec d’autres animaux. Bâle avait été une première étape pour quiconque n’avait pas vu l’exposition chez neugerriemschneider à Berlin, deux ans avant, le Centre national d’art contemporain de Grenoble allait suivre, deux ans après.
En Isère, justement, comme une partie d’un éventail, sur un quart de cercle, se dépliait Sinnmaschine, datant de 1997, nouvelle acquisition aujourd’hui de la collection Mudam Luxembourg : sept panneaux en tout, hauts de 4,9 mètres, larges de 1,5 mètres, de gauche à droite, quatre d’abord, monochromes plus ou moins, de l’orange allant au jaune en bas, du blanc, du rose, du bleu clair, un cinquième avec telles images sur lesquelles il faut revenir et s’attarder, et deux qui ferment la suite, du blanc de nouveau et de l’orange. Les esquisses de l’installation montrent que pour son exposition originelle, elle collait exactement à l’espace, fait coutumier, ce qui a fait évoquer à Peter Pakesch, lors de l’exposition au Kunsthaus Graz, en 2005, « Malerei, um den Raum zu verstehen ». Dans le grand hall d’entrée, au Kirchberg, elle se trouve plantée au milieu.
Retour donc à l’un des panneaux, quasi central, avec ses images variées, de format, de couleur, de style (ou manière). Cela va des portraits du groupe électro allemand Kraftwerk, comme copiés sur la pochette de leur album, à des peintures rappelant Gerhard Richter et Willem de Kooning, de bribes publicitaires à des éclats colorés appartenant en propre à l’artiste. Un ensemble caractéristique du sampling pratiqué par Michel Majerus, enfant en cela de son temps, époque des débuts des technologies numériques. Et ses collages répondent de la sorte aussi à une soif, voire une frénésie iconique, après des décennies de grande parcimonie. Plus de retenue maintenant, les origines les plus diverses sont les bienvenues, hors de toute limite, de toute exclusion, bandes dessinées, publicités, jeux vidéo, histoire de l’art non moins bien entendu.
Ce qui est exactement ce que le visiteur retrouve dans la deuxième partie de l’exposition : une structure de chantier, des échafaudages, et un accrochage qu’on dira volontiers flottant. Des tableaux qu’on n’a pas de mal, pour la plupart, à reconnaître, ayant leurs propriétaires dans le pays. Et le regard ira d’un véritable puzzle de moyens (ou dans la production de Majerus) de petits formats, 60 x 60 cm, au gigantesque running in cycles, de 2001, acquis dès 2002 pour la collection Mudam, 500 x 750 cm, avec ses deux inscriptions qui retiennent : « fuck the artist », à nous de deviner lequel, à moins que ne soit visé le genre entier, et « burned ou(t) ». Mais nous sommes emportés, mouvements tournoyants, on ne m’en voudra pas de regretter une fois de plus que personne n’ait pensé à la piste pour skateboard, après Cologne, Stuttgart, elle aurait eu sa place au Kirchberg. Avec notamment un autre bel exemple de texte, si prenant : « if we are dead, so it is ». Allant au-delà du slogan qui a servi pour le symposium en automne dernier, « what looks good today may not look good tomorrow », dont on attend la publication.
Il est en gros une troisième station pour le visiteur, faite de la bibliothèque de l’artiste, d’une partie en tout cas, d’enregistrements qu’il a réalisés lui-même, ça donne tant soit peu une atmosphère d’atelier, et l’on y glisse plus profondément, plus intimement, avec ses carnets, les croquis, les remarques, les commentaires, de quoi avec un peu de bonne volonté le surprendre au travail. Ainsi, Michel Majerus, Sinnmaschine tient, toujours en miniature ou en condensé, à la fois de la rétrospective, les pièces exposées s’échelonnant de 1993 à 2002, rien qu’une dizaine d’années, mais de quelle invention, et de l’archive, avec des documents propres à aller plus loin dans notre connaissance d’un parcours, d’un œuvre qu’on ne se lasse pas de fouiller au-delà de l’initiale admiration.