Les codes culturels font partie de tout système de communication et la Maison d’Afrique, située rue Adolphe Fischer dans le quartier de la gare, en tire toute sa légitimité. Récemment inaugurée, elle s’adresse en particulier à la diaspora africaine au Luxembourg, qui peut être estimée à 10 000 personnes, même si beaucoup ne sont plus comptabilisées. Le lieu leur propose une écoute et un conseil « à l’africaine ». Mais au-delà de ce public cible, la maison se veut un toit sous lequel on lutte contre la pauvreté et « pour le bien-être et l’inclusion », selon les termes de son administrateur, David Foka.
Si maintes associations africaines « s’occupent de l’aide en Afrique », poursuit le jeune homme dynamique, la Maison d’Afrique ne se concentre pas sur les origines mais veut agir « ici et maintenant ». C’est bien sûr l’intégration qui est visée : « Il la faut maintenant. Nous ne pouvons pas attendre ». L’impatience de David Foka se fait sentir : « Nous voudrions que la maison soit plus qu’une association, qu’elle devienne une institution ». En effet, la Maison d’Afrique vise à devenir un facilitateur, une plateforme, qui propose des solutions concrètes car, argumente David Foka, « nous connaissons les problèmes des gens qui arrivent ».
Ainsi, la majorité de ceux qui poussent la porte de la Maison d’Afrique sont des primo-arrivants. Mais au-delà d’eux, tous ceux qui ont besoin d’un conseil juridique ou d’un appui pour trouver un emploi ou un logement sont les bienvenus. L’offre des cours de luxembourgeois, d’allemand, de français et d’anglais, tout comme une initiation à l’informatique, devraient permettre aux membres de la Maison de s’intégrer et de construire progressivement leur nouvelle vie.
Pour les cours de langue luxembourgeoise, « nous avons choisi une nouvelle méthode qui devrait faciliter l’apprentissage », explique David Foka. Leur « méthode à l’africaine » consiste à repérer des familles luxembourgeoises qui acceptent de se retrouver une ou deux fois par semaine avec un élève. Cette méthode plus vivante serait mieux adaptée aux besoins des membres de la Maison. Une douzaine de familles luxembourgeoises se rencontrent ainsi régulièrement avec les élèves des cours de luxembourgeois. À la Maison d’Afrique, on se réjouit du succès de ce projet. Mais on regrette le manque de moyens, qui « ne permettent même pas, regrette l’administrateur, de se retrouver toutes les six semaines pour offrir un pot à ces familles qui s’engagent bénévolement ».
De l’analphabétisme au Luxembourg ? Il existe et pour la Maison d’Afrique, l’intégration passe nécessairement par là. Mais, faute de pouvoir bénéficier de subventions du ministère de l’Éducation, ce sont ses propres membres qui assurent les cours d’alphabétisation. Le critère requis est une limite minimale de quinze personnes par cours, nombre « que nous ne pouvons jamais atteindre et qui de toute façon est trop élevé pour garantir un bon encadrement », déplore David Foka.
Mais, à la Maison d’Afrique, on ne se décourage pas : « Nous ne voulons pas dépendre, nous ne voulons pas d’assistanat ». Les idées aussi ne manquent pas pour s’en sortir : Pourquoi, par exemple, ne pas rassembler les sommes que touchent tous les mois les bénéficiaires du RMG pour leur octroyer une seule fois sous forme de micro-crédit et mettre fin ainsi à leur situation de dépendance ?, explique-t-on en substance. Il faudrait favoriser l’entrepreneuriat afin que les gens puissent prendre leur vie en main eux-mêmes.
Si l’intégration reste un terme ouvert à mille interprétations, à la Maison d’Afrique, on estime que c’est un processus à double sens : « Nous avons besoin d’un signe. Nous avons besoin qu’on nous encourage », souligne David Foka. Pour l’instant, hormis une convention avec le ministère de l’Éducation, qui permet de payer les professeurs des cours de langues, David Foka regrette un manque de soutien : « On voudrait exécuter des projets, mais sans une convention avec le ministère de l’Intégration, ce ne sera pas possible. » « On attend de nous que nous participions aux frais. Mais nos membres n’en ont pas les moyens », déplore le responsable de la maison. Et de poursuivre : « Nous ne sentons pas de volonté politique pour l’intégration ». Les 136 membres paient déjà 25 euros de cotisation, « ce qui est beaucoup pour quelqu’un qui touche le RMG ou qui ne touche rien du tout ».
On utilise beaucoup le recours au bénévolat à la Maison d’Afrique : « Nous voulons créer l’attractivité du bénévolat », assure David Foka, qui ne semble jamais perdre son sourire : « Nous comptons que sur nous mêmes ». La stratégie de mobilisation et le « bouche-à-oreille » portent leurs fruits. À côté des familles luxembourgeoises pour assurer les cours, des juristes ont été recrutés à raison de deux heures de présence par semaine à la Maison de l’Afrique. « Le bénévolat, c’est du gagnant-gagnant », mais on a envie de dire que cela ne permet pas de manger.
S’il est vrai que le pullulement grandissant d’associations au Luxembourg empêche parfois d’y voir clair dans le monde associatif et que le Luxembourg, en bon État paternaliste, les supporte quasiment tous, on peut quand même se demander si l’intérêt de la raison d’État peut concorder avec la logique de la Maison d’Afrique ? Ici, « nous ne voulons pas de compote, nous voulons une salade de fruits », souligne son administrateur. « Nous voulons changer non seulement l’image de l’Afrique en Europe », mais aussi l’image que les Africains ont d’eux-mêmes, insiste-t-il.
Les défis sont nombreux. Il s’agit surtout de ne plus accepter l’exclusion et la pauvreté. Il s’agit aussi de donner une chance à chacun, une vraie chance. « Il faut que les Africains trouvent eux aussi une place active et constructive dans la société luxembourgeoise » et il faut peut-être aussi que la société leur donne une chance d’y parvenir. « Il ne s’agit pas de faire de la victimisation », corrige David Foka.
Il est sans doute trop tôt pour évaluer l’engagement pris par la Maison. Son projet est ambitieux.