Les histoires personnelles qu’ils racontent se ressemblent toutes. Dans les rues de Belgrade, les murs seraient frappés de graffitis haineux du genre « mort aux Roms ! », les exactions des autorités et les agressions des habitants à leur encontre monnaie courante, un père assassiné, un fils rayé de l’état civil, un mari n’arrivant pas à avoir de papiers, des enfants raillés sans cesse par leurs camarades de classe, pas d’accès au marché du travail primaire et des persécutions s’ils essaient de se débrouiller sur les marchés parallèles... Alors, un jour, ils ont pris leurs familles et leurs affaires pour monter dans un bus, une ligne régulière ou un minibus privé partagé avec d’autres, direction l’Europe, voire, de plus en plus souvent, le Luxembourg. Depuis début 2010, les ressortissants de Serbie, de Macédoine et du Monténégro n’ont plus besoin de visa pour entrer dans l’espace Schengen, donc le voyage fut long, certes, mais sans encombre et sans contrôle. Certains ont vécu ailleurs avant, souvent en Allemagne, et connaissent donc des bribes de langues.
« Nous voulons juste vivre en paix, trouver un travail et envoyer les enfants à l’école, » racontent les mères et pères de familles qui sont ainsi arrivés au foyer Don Bosco ces dernières semaines, la plupart depuis janvier. « Je dirais que 90 pour cent des nouveaux arrivants sont des Roms, » estime l’un d’eux. Le foyer du Limpertsberg, dans lequel les conditions d’accueil se sont clairement améliorées depuis qu’il est géré par la Croix Rouge, est la première étape obligée des nouveaux arrivants. C’est ici qu’ils sont logés en attendant la suite de leur demande de protection internationale – et une place dans une des autres 28 structures, en principe, ils ne devraient y rester qu’un mois, six semaines grand maximum.
Au service logement de l’Olai (Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration, dépendant du ministère de la Famille et de l’Intégration), le responsable Arthur Antony constate que les 1 200 places existantes sont désormais occupées et qu’il a le plus grand mal pour encore trouver des possibilités de logement : les foyers sont pleins ; l’un d’eux, celui du Mullerthal, cent lits, a dû être fermé sans être remplacé ; la nouvelle immigration portugaise, tout à fait légale, occupe désormais nombre de pensions familiales ; les hôtels utilisés en appoint ne sont pas disponibles lors des saisons touristiques, et même les halls des Foires internationales, où il avait essayé de louer des espaces (comme à la fin des années 1990), sont désormais occupés toute l’année. Tous les efforts entrepris ces dernières années pour construire de nouvelles structures, que ce soit à Esch-Lallange, à Niederanven ou à Burmerange, ont échoué à cause du refus de l’une ou l’autre administration, que ce soient les communes ou celle de l’environnement. En tout, cinq projets de construction, pour lesquels l’Olai aurait eu aussi bien le budget que les terrains, ont échoué1.
« L’agenda de la protection des réfugiés devient moins important que l’agenda de la souveraineté nationale, » avait regretté devant la presse lundi le Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés, António Guterres, en visite d’un jour au Luxembourg. Bien qu’il ait visé la situation internationale avec sa critique, regrettant que les conflits durent, et qu’il devienne de plus en plus difficile d’organiser le retour des 43 millions de réfugiés chez eux, son jugement s’applique sans conteste aussi au grand-duché, et ce quasiment tous partis confondus.
« Ce qui est nouveau, raconte Christiane Martin, la directrice de l’Olai, c’est que beaucoup de demandeurs disent désormais qu’ils sont Roms, ce qu’ils ont toujours tu avant, craignant d’être stigmatisés. » Ainsi, le chiffre de quelque 300 personnes rom au Luxembourg que l’on trouvait dans les rapports internationaux dans les années 1990 était plutôt une estimation des services du ministère. Ce mois de janvier 2011, sur 123 nouveaux demandeurs, 41 ont dit aux services du ministère de l’Immigration qu’ils étaient Roms. Or, Nathalie Krier, assistante d’hygiène sociale à l’Olai, a fait le tour des foyers, et n’a pas constaté de problèmes de cohabitation entre les différentes communautés.
Aucun des demandeurs auxquels nous avons pu parler au foyer Don Bosco mercredi ne s’est plaint de l’accueil qui leur y était réservé – à l’exception du fait qu’ils craignent tous leur interview au service de l’immigration et les conséquences qu’il allait avoir sur leur demande. Les premiers ont déjà reçu des refus du statut de réfugié et ont entamé les procédures de recours. « Des personnes qui vivent dans une situation de discriminations latentes et quasi-institutionnalisées dans leur pays méritent de se voir reconnaître une protection et en particulier l’asile dans un autre pays, ces discriminations étant basées sur leur origine ethnique, » estime Maître Olivier Lang, avocat spécialisé sur la question, membre de la Commission consultative des droits de l’homme, et assistant actuellement plusieurs familles roms qui l’ont consulté depuis fin 2010.
Son appréciation rejoint ainsi celle des ONGs comme l’association luxembourgeoise de défense des droits des Roms en Europe Chachipe ou Amnesty International, qui constatent des discriminations organisées de la communauté aussi bien en Serbie ou en Macédoine que dans toute l’Europe, où, selon Amnesty, les discriminations jouent surtout sur le plan de l’accès au marché du travail et à l’éducation2.
Et même la Luxembourgeoise Viviane Reding (CSV), vice-présidente de la Commission européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, a constaté mardi qu’il y avait un « problème structurel en Union européenne » pour ce qui est du traitement des populations roms. Devant la presse, elle a rappelé qu’elle avait mis en place, en septembre 2010, alors qu’elle s’était insurgée contre les expulsions pratiquées en France par la gouvernement de Nicolas Sarkozy3, une « Roma task force », qui présentera le 5 avril un cadre européen pour la mise en place de stratégies nationales d’intégration des Roms.
Toutefois, parallèlement au début de l’étude par la Commission européenne de la candidature de la Serbie à adhérer à l’UE, la Commissaire en charge des Affaires intérieures, la Suédoise Cécilia Malmström, avait envoyé en automne dernier une lettre aux gouvernements serbe et macédonien leur demandant de dissuader leurs ressortissants de demander l’asile dans les pays européens, menaçant de réintroduire l’obligation de visa si le nombre des demandeurs d’asile venant de leur pays ne baissait pas. Certains pays, comme la Belgique, ayant constaté un « afflux massif » des demandeurs originaires des Balkans en 2010, ont envoyé des ministres en tournée pour dissuader les gens de venir, leur expliquant que leur pays était prospère, mais pas l’Eldorado.
Au foyer Don Bosco court la rumeur que, après que les premiers demandeurs roms aient reçu une réponse négative, les retours forcés pourraient commencer en mars – lorsque la plupart des autorisations automatiques de séjour de courte durée expireront. Lors d’une conférence de presse pour faire le point sur les statistiques d’immigration et d’asile, le ministre de l’Immigration Nicolas Schmit (LSAP) avait estimé la semaine dernière que la réponse au nouvel afflux – proche désormais des pics de 1999, au moment de la guerre du Kosovo lorsque le « record d’affluence » avait été de 162 personnes en un mois –, il fallait d’urgence recruter une dizaine de personnes supplémentaires dans ses services pour évacuer les demandes au plus vite, « faute de quoi, nous ne serons plus à même de répondre à nos obligations européennes ». On pourra donc voir vers quelle approche le gouvernement penchera : accélérer les procédures et donc, tout l’indique, les expulsions, ou améliorer l’accueil, l’encadrement social et la protection des droits humains de populations persécutées.