Coïncidence remarquable : le jour même où le gouvernement luxembourgeois annonçait les grandes lignes de sa réforme des retraites, l’OCDE publiait son rapport 2001 sur les pensions. Ce document très détaillé, étendu cette année à tous les pays du G20 (voir encadré) conclut sombrement que les réformes adoptées récemment ne permettront toujours pas de couvrir le coût des retraites à l’avenir, en dépit des reculs de l’âge de la retraite arrêtés dans la moitié des pays membres.
Actuellement, les hommes partant à la retraite y restent en moyenne 17 ans dans les pays de l’OCDE, et les femmes 22 ans et demi. Or, cette durée va encore augmenter, d’environ deux ans pour les hommes et d’un an et demi pour les femmes d’ici à 2050. En effet, si l’âge moyen d’ouverture des droits à pension atteindra à ce moment 65 ans pour les hommes et pour les femmes (soit une hausse d’un an et demi pour les hommes et deux ans et demi pour les femmes par rapport à aujourd’hui), l’espérance de vie progresse à un rythme encore plus soutenu.
Par ailleurs, à cause de la baisse de la fécondité, la population active va culminer dans les pays de l’OCDE dès 2015 et diminuer d’un peu plus de 10 p.c. d’ici 2050. De ce fait, le nombre d’actifs par retraité va être encore divisé par deux, et en maintenant l’âge de la retraite aux niveaux actuels, on n’aurait plus que 12 ou 13 actifs pour financer 10 personnes. Cela signifie que dans 29 pays de l’OCDE sur un total de 34, il sera nécessaire de reculer encore l’âge de départ à la retraite.
Le but de la manœuvre est de contenir et si possible de réduire les prestations publiques, qui sont aujourd’hui la pierre angulaire des revenus des personnes âgées, puisqu’elles représentent en moyenne 60 p.c. de leurs revenus. Avec le vieillissement de la population, elles pourraient atteindre des niveaux insupportables pour des finances publiques souvent délabrées. Le montant des dépenses publiques se situe déjà entre 10 et 13 p.c. du PIB en Allemagne, en France, au Royaume-Uni, en Italie, en Belgique et aux Pays-Bas. Avec un peu plus de 8 p.c., le Luxembourg fait encore (presque) figure de bon élève, mais une étude de l’OCDE publiée en 2010 prévoyait qu’elles monteraient jusqu’à 25 p.c. en 2060 si rien n’était accompli.
Les réformes récentes qui marquent une avancée sur la voie d’une meilleure maîtrise de la hausse des dépenses publiques au titre des retraites, se traduisent déjà par une diminution des prestations servies. Selon le rapport, depuis le début des années 1990, elles ont baissé de 20 p.c. en moyenne dans les pays concernés. Cette réduction n’est pas sans conséquences pour les plus vulnérables. En Allemagne, aux États-Unis, au Japon et au Royaume-Uni, par exemple, les actifs faiblement rémunérés ne perçoivent, une fois à la retraite, que la moitié environ de leur salaire antérieur, déjà fort modeste. « Nous ne pouvons courir le risque d’assister, demain, à une aggravation de la pauvreté des personnes âgées. Dans de nombreux pays, ce risque est exacerbé par la montée des inégalités de salaires, qui se traduira par un creusement des inégalités entre les retraités », a déclaré le Secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurría, exhortant les gouvernements à se saisir de ce problème.
L’Australie et le Royaume-Uni ont relevé le montant des prestations de retraite pour les basses rémunérations. La Finlande, la France et la Suède ont pris des mesures évitant aux personnes à faibles revenus, mais aussi par exemple à celles qui ont subi des interruptions de carrière d’être trop affectées par les réformes. Cela étant, « relever l’âge de la retraite ne résout qu’une partie du problème » reconnaît Angel Gurría. Cet âge revêt souvent une dimension symbolique. En France, où il avait été abaissé à 60 ans au début des années 1980, il fait figure d’acquis social intangible. Son recul à 62 ans en novembre 2010 (un niveau modeste par rapport à celui des autres pays de l’UE, et qui ne concernera tout le monde qu’à partir de 2018) a déclenché de très importants troubles sociaux. Plusieurs personnalités de gauche ont promis qu’en cas de retour au pouvoir en 2012, elles feraient abroger la loi, déclarations fort embarrassantes pour Dominique Strauss-Kahn, probable candidat socialiste aux présidentielles françaises, qui, dans ses actuelles fonctions de directeur du FMI, défend le recul de l’âge de la retraite dans tous les pays où il est amené à intervenir.
L’allongement de la durée de cotisation en France, décidé en 2003, et actuellement de 41 ans, avait suscité beaucoup moins de troubles. Pourtant, c’est là le cœur du problème. Le critère de l’âge est appelé à perdre de son importance pour plusieurs raisons. On constate dès aujourd’hui que l’âge légal de la retraite est souvent contourné par toute une série de dispositions, de telle sorte que dans la quasi-totalité des pays, l’âge effectif de cessation d’activité lui est inférieur, avec des écarts parfois importants : 5 ans en Allemagne et 5,6 au Luxembourg, où cet âge est de 59,4 ans, un des plus bas de l’UE.
À l’avenir, avec l’allongement des études et les interruptions de carrière, il sera de plus en plus difficile d’arriver à l’âge légal avec le nombre requis d’années de cotisation.Comme on l’a vu au Luxembourg, c’est surtout sur l’augmentation du nombre d’années de cotisations que les gouvernements vont désormais jouer. Pour s’en tenir à l’Europe, on est parfois largement au-dessus des 40 ans (comme aux Pays-Bas, 50 ans, ou en Irlande, 48 ans), mais dans d’autres comme l’Italie ou l’Espagne (35 ans) et surtout dans les pays de l’est, on est très au-dessous (15 à 30 ans) et des marges de progression existent.
Travailler plus longtemps, éventuellement au-delà de l’âge légal, encore faut-il que les seniors puissent le faire. « Les pays doivent davantage s’employer à lutter contre les discriminations liées à l’âge dans le milieu du travail, en prévoyant des possibilités de formation pour les seniors et en améliorant leurs conditions de travail. Pour ce faire, il conviendra d’agir sur la discrimination liée à l’âge, les possibilités de formation offertes aux seniors et les conditions de travail. De sorte que les employeurs s’adaptent à une main-d’œuvre vieillissante. »
Du chemin reste à faire à cet égard. Selon l’OCDE, le taux d’emploi des 60-64 ans est en moyenne de 54,5 p.c. dans les pays membres. Mais d’autres chiffres sont plus inquiétants. Dans un comparatif établi en juin 2010 entre les pays de l’UE., la Fondation Robert Schumann a montré que le taux d’emploi des 55-64 ans (donc avant l’âge de départ en retraite dans la plupart des pays) est très souvent inférieur à 40 p.c. À l’ouest de l’Europe, à peine plus d’une personne sur trois dans cette tranche d’âge occupe un emploi (40 p.c. en France, mais seulement 35 à 36 p.c. en Belgique, au Luxembourg et en Italie). La proportion est encore plus faible dans certains pays de l’est de l’Europe (33 p.c. en Pologne et en Hongrie). Trois pays seulement sur les 27 connaissent un taux d’emploi supérieur à 60 p.c., dont la Suède qui, avec 72,8 p.c. fait réellement figure d’exception.
Les réformes sociales devront être complétées par des mesures financières, amenant les actifs à investir davantage dans les dispositifs de pensions privées. Certains pays, comme l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande, sont parvenus à élargir la couverture des systèmes de retraite privés. L’Irlande et le Royaume-Uni prennent également des mesures innovantes, d’autant plus nécessaires que les prestations publiques diminueront sous l’effet des réformes. Mais l’exemple de la France, qui peine à introduire le concept de « fonds de pension », montre qu’un gros effort de communication et d’incitation reste à faire auprès des futurs retraités.