d’Lëtzebuerger Land : À chaque annonce de la construction d’un nouveau centre d’accueil pour demandeurs d’asile, des boucliers se lèvent dans les quartiers concernés, où des riverains, bien que niant tout réflexe Nimby (not in my backyard), trouvent des arguments de plus en plus absurdes pour s’opposer au projet : des problèmes de stationnement à de soi-disantes considérations sociales… Actuellement, cela se passe à Bridel, où les opposants évoquent le PAG et la densité des constructions. Vous les avez rencontrés la semaine passée lors d’une réunion d’information. Que répondez-vous à ces critiques ?
Corinne Cahen : Il est très intéressant d’observer que les arguments invoqués changent au fur et à mesure de l’évolution d’un tel dossier. Au début, les opposants au projet à Bridel évoquaient une incompatibilité avec le plan d’aménagement général, puis, quand la commune a pu leur prouver que tel n’était pas le cas, ils ont changé leur fusil d’épaule et ont critiqué d’autres points, comme la taille réduite des logements ou le fait qu’une route nationale passe à deux pas du foyer. Mais ces arguments ne tiennent pas la route. Je suis confiante que le projet pourra avoir l’aval du conseil communal lors d’une de ses prochaines réunions et que nous pourrons commencer à construire assez vite. J’avoue que j’étais rassurée de constater que, dans l’assemblée de cette réunion d’information, 70 pour cent des gens venaient vraiment pour s’informer et soutenaient le projet, trouvaient qu’il était normal que la commune prenne ses responsabilités et soit solidaire dans ce domaine-là. Et je dois souligner aussi que le maire de Kopstal, Romain Adam (LSAP), m’a impressionnée avec sa gestion du dossier et son engagement personnel sur cette question.
C’est le premier chantier du genre que j’aie à gérer. Mais j’ai essayé de tirer les leçons d’une précédente polémique, gérée encore par ma prédécesseure, c’était à Junglinster. Je m’en suis inspirée en me disant : si on dit vouloir informer les gens, il faut vraiment les informer, leur donner toutes les clés pour comprendre ce qui va se passer, avec le logement, la scolarisation des enfants, la durée de leur vie sur place et ainsi de suite. Ce n’est que comme ça qu’on peut désamorcer la peur de l’inconnu. En général, les gens craignent l’Autre qu’ils ne connaissent pas. En ce moment, c’est le cliché du mendiant Rom qui est véhiculé dès qu’on parle de demandeurs d’asile.
Quel serait, pour vous, l’endroit idéal pour construire de tels foyers ? Faut-il privilégier les grandes structures, comme le Centre Héliar à Weilerbach, ou les petites maisons, plus intimistes ?
Je suis absolument pour de petites structures. Le Centre Héliar existait avant que nous le transformions en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, et sa taille nous sert souvent en cas de pic de nouveaux arrivants. Mais en règle générale, les petites structures permettent aussi une meilleure intégration des demandeurs dans la vie du village ou du quartier et de leurs enfants dans le système scolaire luxembourgeois.
En 2013, lit-on dans le rapport annuel de votre ministère, vous avez logé plus de 1 950 demandeurs de protection internationale dans des foyers et des maisons… Pourtant, malgré la baisse sensible de l’affluence de nouveaux demandeurs – de plus de 2 100 en 2011 à un millier en 2013 –, les capacités de logement ne suffisent pas, les foyers existants devraient d’urgence être retapés… L’idéal serait de le faire lorsqu’il y a moins de nouvelles demandes. Avez-vous un plan dans ce domaine ?
Nous allons poser la première pierre du nouveau foyer Don Bosco à Limpertsberg ce vendredi. Ce qui complique l’accueil et l’encadrement des demandeurs d’asile est que nous n’avons aucune influence sur leur nombre : nous ne contrôlons ni leur arrivée, ni leur retour, c’est le ministère de l’Immigration qui s’occupe de cela. Nous les logeons et les encadrons, organisons la nourriture et les services sociaux. C’est vrai que c’est calme en ce moment, mais nous sommes en contact avec beaucoup de communes pour justement prévoir maintenant la construction de petites structures.
Suite à la réticence de beaucoup d’édiles communaux à accueillir des demandeurs de protection internationale sur leur territoire, l’ancienne ministre de la Famille, Marie-Josée Jacobs (CSV) avait menacé d’introduire des quotas de demandeurs par commune, une idée que l’on retrouve dans l’accord de coalition du gouvernement DP/LSAP/Verts. Où en est cette idée actuellement ?
En ce moment, je cherche la discussion directe avec les maires et conseils communaux pour les motiver à s’engager. Nous venons d’ailleurs de fixer un rendez-vous avec le Syvicol (Syndicat des villes et communes du Luxembourg, ndlr.) pour parler de ce dossier spécifique. Les maires avec lesquels j’ai pu parler de manière informelle jusqu’à présent et qui ont de l’expérience avec un foyer sur leur territoire m’ont tous confirmé qu’une petite structure ne pose aucun problème, que ces gens s’intègrent très bien, qu’ils n’importunent personne et qu’ils ne trainent pas dans la rue à longueur de journée. Ils habitent là – comme n’importe quel autre résident de la commune.
Vous en parliez : aujourd’hui, vous allez poser la première pierre du nouveau foyer Don Bosco au Limpertsberg, qui est traditionnellement le foyer du premier accueil des nouveaux arrivants et qui est régulièrement surchargé. Pourtant, le foyer n’aura qu’une capacité de 120 lits. Pourquoi ? Est-ce que cette capacité va suffire ? L’actuel foyer est souvent plein à craquer...
L’idée est de ne pas construire de foyer trop grand, mais, là aussi, d’aller vers de plus petites structures. Et puis le Don Bosco est vraiment un lieu de passage, du tout premier accueil, vers où les demandeurs d’asile sont orientés à leur arrivée. Nous essayons de les loger au plus vite dans un autre foyer à partir de là.
Le nombre de nouveaux arrivants baisse sans cesse ces deux dernières années, et les pays de provenance des nouveaux demandeurs de protection internationale restent en premier lieu les Balkans. Avez-vous des explications pour cela ? Les régions de crise comme l’Ukraine ou la Syrie ne sont que peu représentés (une respectivement trois demandes en avril).
Les Balkans sont une région très pauvre que les gens quittent à la recherche d’un meilleur avenir pour leur famille. On voit de plus en plus que les migrations sont des migrations économiques plutôt que politiques. C’est ce que nous avons constaté lors de notre « action hiver », où nous logions tous ceux dans le besoin, indépendamment de leur statut juridique. Et bien, nous y avons rencontré des Italiens et beaucoup de Portugais, qui ont quitté leur pays avec toute leur richesse dans leur voiture, à la recherche d’une vie meilleure, loin de la crise de leur pays. Ce ne sont pas des demandeurs d’asile, mais des Européens, qui ont les papiers nécessaires – mais rien d’autre.
En 2012, lors du précédent pic de nouvelles arrivées, l’aide sociale pour demandeurs de protection internationale a été drastiquement réduite à seulement 25 euros par mois et par adulte, la moitié par enfant. Aussi bien les DPI eux-mêmes que les ONG actives dans le domaine se plaignent de cette dégradation de leurs conditions de vie… Allez-vous les revoir à la hausse ? Et peut-on voir une relation de cause à effet entre la réduction de ces aides et la baisse des nouvelles demandes ?
Peut-être. Mais je suis persuadée qu’il faut en rester au système de bons pour soutenir les demandeurs d’asile et non leur donner de l’argent. Parce que cet argent peut aller dans des bandes de crime organisé et risque d’attirer beaucoup de gens qui n’ont aucune chance d’avoir des papiers ou de pouvoir rester ici. Avec les bons, on peut aider de manière très ciblée, que ce soit pour acheter des articles d’hygiène ou du matériel scolaire, et s’assurer que l’aide arrive au bon endroit. Même les demandeurs d’asile déboutés, qui ne reçoivent plus l’aide sociale directe, restent logés et nourris dans nos foyers et reçoivent encore ces bons et ces services que nous offrons.
Le 16 avril, vous avez accueilli les 28 réfugiés syriens que le Luxembourg s’est engagé à accueillir dans le cadre de ses obligations internationales. Comment vont-ils à Weilerbach et quel projet d’intégration avez-vous pour eux ?
Je suis encore allée leur rendre visite sur place dimanche 20 avril et ils vont bien. Tous sont extrêmement motivés pour apprendre en premier lieu les langues, notamment le français, ce qui est urgent, puisque la grande majorité d’entre eux ne parlent que l’arabe ; un seul est anglophone. Les enfants vont à l’école à Weilerbach et apprennent vite. Et nous sommes à la recherche de logements deuxième phase pour eux, où ils puissent s’établir plus longuement – car tous ont le statut de réfugiés et peuvent donc rester au Luxembourg.
Contrairement à ces réfugiés syriens, qui ont une assurance quant à leur avenir, pour la majorité des demandeurs de protection internationale, le plus insupportable est l’attente, l’incertitude quant à leur statut… Vont-ils l’avoir – le taux est extrêmement bas (seulement 43 accords cette année, depuis janvier, sur 473 décisions prises) ? S’ils n’ont pas le statut de réfugié, vont-ils quand même pouvoir rester, pour raisons humanitaires par exemple ? Ou vont-ils être expulsés, souvent après des années passées à attendre au Luxembourg (216 retours cette année, dont 46 retours forcés) ? Et souvent après que les enfants, peut-être nés ici, soient parfaitement intégrés, par leur scolarisation surtout… Qu’envisagez-vous de faire pour améliorer ces conditions d’accueil et de procédure ? L’accord de coalition promet par exemple une meilleure coordination entre les différents ministères, notamment le vôtre, celui de l’Immigration et celui de l’Intérieur (pour la Police)… Où en est cette coordination ?
L’attente est souvent si longue parce que la procédure prévoit beaucoup de recours, que les demandeurs utilisent tous, soutenus en cela par des avocats qui en ont fait un véritable marché ! Mais le ministère de l’Immigration a déjà fait beaucoup de réformes pour accélérer les procédures et il est encore en train d’en faire. La procédure accélérée permet déjà aujourd’hui d’avertir les gens au plus vite de leurs chances d’avoir le statut ou non. Avec le ministère de l’Immigration, nous nous coordonnons assez facilement ; c’est toujours très simple au Luxembourg, où les chemins sont très courts.
Vous avez entamé un audit de l’Olai (Office luxembourgeois pour l’accueil et l’intégration)… Pourquoi ? Qu’en attendez-vous et quand l’audit sera-t-il prêt ?
Cet audit est prévu dans l’accord de coalition aussi, parce qu’il était vraiment nécessaire : nous voulons savoir ce qui fonctionne bien et sur quels points nous pouvons encore nous améliorer. Nous attendons les résultats d’ici un mois et demi et allons bien sûr les présenter d’une manière ou d’une autre. Vous comprendrez que je ne peux pas en dire davantage à ce stade.
Vous misez fortement sur les contrats d’accueil et d’intégration pour les étrangers arrivant au Luxembourg… plus de 2 000 personnes ont signé un tel contrat, les premiers diplômes ont été remis début mai… Qu’apportent ces CAI aux nouveaux arrivants ?
La remise des premiers diplômes, quelque 80 en deux séances début mai, était extrêmement émouvante pour moi, parce que on y a vu une grande diversité de gens, de tous les âges et de toutes les provenances, qui prouvent par là qu’ils veulent s’intégrer. Et le CAI n’est que le début de leur intégration, les signataires s’engagent à prendre des cours de langue ou d’instruction civique afin de connaître et faire partie de la société dans laquelle ils vivent. Ce n’est pas quelque chose qu’on fait en passant, mais ça demande un réel engagement.
Qu’est-ce qu’une intégration réussie à vos yeux ?
Voilà une très bonne question. Pour moi, c’est quand on vit quelque part où on se sent bien et où on participe à la vie publique et associative. Cela n’a rien à voir avec les langues, mais surtout avec la participation active dans la société, et le bénévolat est un bon moyen pour le faire. Il est important que les différentes communautés ne vivent pas dans des sociétés parallèles, mais que tous se mélangent pour faire une société.
Les tendances ouvertement racistes, xénophobes ou islamophobes s’expriment de plus en plus librement sur les réseaux sociaux ces derniers temps. Comment entendez-vous y faire face ?
Je suis extrêmement inquiète de ce phénomène, que je constate aussi : Il suffit qu’on gratte un peu à la surface de la société multiculturelle que nous affichons et tout s’effondre. Par ma propre expérience – je suis moi-même issue d’une minorité – je ne peux que recommander aux gens d’aller à la rencontre de l’Autre, d’essayer de faire la connaissance de ces inconnus. Les gens ont peur de perdre leur identité et l’articulent souvent autour de la question de la langue. Mais, bien que le luxembourgeois soit important comme langue d’intégration, nous comptons désormais 45 pour cent de concitoyens non-Luxembourgeois au grand-duché, cette richesse et ce multilinguisme sont aussi une partie de notre identité qu’on ne doit pas négliger.