Fin janvier, les médias français ont publié des chiffres alarmants sur les investissements étrangers dans leur pays : en 2013 ils ont chuté de 77 pour cent par rapport à l’année précédente, tombant à 5,7 milliards de dollars seulement selon la CNUCED, plaçant la France au seizième rang européen, derrière le Luxembourg !
Mais, si pour des raisons bien connues (poids de la fiscalité, rigidités du marché du travail, tracasseries administratives) la France fait de moins en moins figure de terrain favorable aux affaires, elle reste très attrayante en termes de cadre de vie et de mode de vie, comme le montre une étude publiée par l’institut américain Gallup.
Si demain toutes les personnes de plus de quinze ans dans le monde pouvaient partir vivre dans le pays de leur choix, la population adulte de la France grimperait de 38 pour cent et sa population totale de plus de trente pour cent !
Ce résultat étonnant a été obtenu à la suite d’une vaste enquête mondiale menée entre 2010 et 2012. Au terme d’environ 520 000 entretiens menés dans 154 pays, Gallup a calculé un «indice net de migration potentielle» (en anglais : Potential Net Migration Index). Le PNMI est calculé en faisant la différence entre le nombre estimé d’adultes qui voudraient s’installer définitivement dans un pays si l’opportunité venait à se présenter, et ceux qui disent vouloir le quitter. Un PNMI positif traduit donc un gain net potentiel en population adulte.
Mais avec un PMNI de 38, l’Hexagone est à peine dans la moyenne d’Europe de l’ouest et ne pointe qu’à la neuvième place des lieux de vie les plus prisés du Vieux Continent. L’Europe dans son ensemble possède un score positif (10) qui cache d’importantes disparités : sur 45 pays étudiés par Gallup, 26 ont un PNMI négatif. Ils se situent principalement à l’est et dans le sud du continent. La Grèce en fait désormais partie, tandis que l’Italie affiche un modeste +8 et le Portugal seulement +1.
A l’opposé, six pays ont un PNMI supérieur à soixante, dont Chypre (qui l’eût cru ?) et trois paysscandinaves (Islande, Norvège, Suède). Cela est largement dû au fait que, par construction, l’indice favorise les pays peu peuplés. C’est le cas du Luxembourg dont l’indice est de 86 : dans cette hypothèse, le Grand-Duché accueillerait 378 000 habitants supplémentaires de plus de quinze ans, et sa population augmenterait de 70 pour cent! Le record européen est détenu par la Suisse, qui, avec un indice de 136, compterait 8,7 millions de nouveaux résidents, alors que le pays recense en réalité 8 millions d’habitants.
Curieusement, le fait que parmi les destinations les plus recherchées figurent deux pays habituellement pointés du doigt comme étant des « paradis fiscaux », n’a pas suscité de commentaires particuliers jusqu’ici. Sur 21 pays américains, 17 ont un score négatif, ce qui ôte toute signification à la moyenne de treize, portée par le Canada (120) et les États-Unis. Ces derniers, avec un PNMI de 45, gagneraient 141 millions d’habitants adultes, un record en valeur au niveau mondial.
Même phénomène en Asie-Pacifique, avec 23 PNMI négatifs sur 28 pays. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et Singapour obtiennent des scores étonnants, sans doute liés à leur faible population (respectivement 136, 134 et 129) tandis que les pays les plus peuplés comme l’Inde (-4), la Chine (-6) et le Japon (-10) évoluent dans le négatif. L’Afrique centrale et du sud compte 33 indices négatifs sur 38 pays, et le Moyen-Orient et l’Afrique du nord 11 PNMI négatifs sur 15 pays.
Au total, trois-quarts des pays étudiés présentent un PNMI négatif, ce qui signifie qu’ils perdraient une partie plus ou moins importante de leur population si celle-ci pouvait mettre à exécution ses désirs de migration. Les dix les plus atteints (avec un score inférieur à -35) seraient l’Arménie, le Libéria, la Sierra Leone, le Nigéria, l’Ouganda, les Comores, le Congo Kinshasa, Haïti, la République dominicaine et le Honduras.
La hiérarchie des pays les plus prisés et les plus délaissés épouse clairement les critères de développement économiques, et, à cause de cela, elle a été bouleversée depuis la précédente enquête de Gallup, réalisée entre 2007 et 2009, avant que la crise ne fasse sentir tous ses effets.
Pratiquement tous les pays possédant un PNMI élevé avant la crise ont connu une forte baisse de leur indice. En Europe, c’est notamment le cas de la France, dont le score a sérieusement chuté en quelques années passant de 60 à 38, surtout parce qu’un nombre croissant de Français n’hésiteraient plus à quitter le pays s’ils en avaient l’opportunité. Forte baisse également en Espagne et en Irlande, dont le PNMI dépassait 66, et même en Suisse mais de façon plus modérée. La Norvège et l’Allemagne, deux pays qui s’en sortent mieux que les autres, pour des raisons différentes, améliorent leur position. Sur le continent américain, le Canada connaît aussi une baisse sensible, passant de 160 à 120, et les États-Unis de 60 à 45. En Asie-Pacifique, le PNMI de la Nouvelle-Zélande et surtout celui de Singapour se sont effondrés, tout en restant à des niveaux enviables. Une situation que l’on retrouve chez ceux qui avaient auparavant un PNMI positif, mais moyen, comme l’Italie, la Grèce, le Portugal ou encore la Malaisie. Tous ces pays deviennent moins attrayants à cause de la crise, tandis que les sortants potentiels voient leur nombre s’accroître.
En revanche, là où l’on avait un indice très faible ou négatif, la situation est contrastée : dans certains pays la crise économique a exacerbé les désirs d’émigration, mais des facteurs politiques ont aussi joué (Bulgarie, Arménie, Japon, Syrie, Pakistan), de sorte que le PNMI s’y est encore dégradé. Dans d’autres en revanche la crise, en raison de son caractère mondial, a pu avoir un rôle dissuasif pour les sortants potentiels, avec parfois une amélioration des conditions politiques locales : en Afghanistan, au Vietnam, au Sénégal, au Nigéria et au Bangladesh par exemple, l’indice s’est amélioré tout en restant négatif.
Qu’en est-il dans les faits ? Comme nous ne vivons pas dans un monde idéal où n’importe qui pourrait vivre où il le désirerait, le nombre réel de migrants est très loin d’atteindre les chiffres calculés par l’institut Gallup.
Selon eux, treize pour cent des adultes dans le monde souhaiteraient vivre ailleurs, ce qui représente un « potentiel » d’environ 650 millions de personnes. Mais ceux qui passent à l’acte ne sont pas aussi nombreux, encore que, d’après l’Organisation internationale des migrations (OIM) ils sont désormais 232 millions à résider hors de leur pays natal, soit 3,2 pour cent de la population mondiale, un record historique. Ce nombre a augmenté d’un tiers entre 2000 et 2013.
D’autre part, la géographie des migrations est assez différente de celle indiquée par l’enquête Gallup. Mais elle apporte tout de même des surprises : ainsi le rapport annuel de l’OIM, qui prend aussi en compte quelque seize millions de réfugiés, montre qu’il y a davantage de migrations sud-sud (82,3 millions de personnes soit 35,5 pour cent du total) que de déplacements du sud vers le nord de la planète (81,9 millions). Près du quart des migrations se déroulent même entre pays du « nord ».
Le continent européen reste la destination la plus populaire, avec 72 millions de migrants, loin devant les États-Unis (46 millions de personnes), mais la hiérarchie n’est pas celle attendue. Alors que la France est un des pays les plus recherchés selon le sondage Gallup, il n’est pas, d’après l’organisme Eurostat, celui qui accueille le plus de migrants : en 2010, il en a reçu 150 000, contre 500 000au Royaume-Uni, 430 000 en Espagne et 317 000 en Allemagne. Mais les flux ne donnent pas la même image que les stocks.
En 2010, vivaient dans les 27 pays de l’UE quelque 47,3 millions de personnes nées hors de leur pays de résidence, soit un peu moins de dix pour cent de la population totale, avec d’importants écarts. Loin derrière le Luxembourg (32,5 pour cent), on trouve la Chypre, l’Estonie, la Lettonie, l’Autriche, la Suède et l’Espagne (entre 14 et 19 pour cent). L’Allemagne (douze pour cent) et le Royaume-Uni (11,3 pour cent) arrivent bien après, tout comme la France (11,1 pour cent) mais dans ce pays l’interdiction des « statistiques ethniques » rend les chiffres très peu fiables.