Depuis la Biennale de Venise, Mike Bourscheid est surtout connu pour son travail d’artiste performeur. Sa participation à la Drawing Now à Paris1 la semaine dernière, avec sa galerie Nosbaum-Reding qui a fait le beau choix de la cohérence en lui dédiant tout son booth – au-delà d’avoir relevé l’énorme défi de réussir, dans le foisonnement d’une foire, à créer un univers à part, une vraie exposition – dévoilait un nouveau côté de son travail : ses dessins2.
Ceux qui suivent le travail de l’artiste le savent : plutôt que d’employer un bataillon d’artisans spécialistes comme le fait la grande majorité des artistes contemporains, Mike Bourscheid prend des cours, ou il apprend (seul) à apprendre de nouveaux gestes, et il adopte ainsi de nouvelles méthodes qu’il incorpore à son travail. Cette modestie, qui est aussi une posture d’artiste, se transforme alors en puissance expressive et affirmation de joie – à l’occasion de la connaissance développée, au sens spinoziste du terme3 (et par là même en grande provocation inspirante pour toute personne qui prend le temps de regarder le travail de cet artiste, dont la singularité est profondément marquante).
Certains de ses dessins sont des préparations pour des costumes de performances ou de vidéos (car il est en train de préparer des performances pour la caméra…), d’autres sont des personnages nouveaux, et d’autres, on les « connaît » déjà : par exemple son Self portait (This is how I imagine love) : un humain vêtu d’un beau corset bien serré et deux mains portant ce qui sur le dessin à l’air d’être un masque mais qui est un lourd casque en fonte d’aluminium (que l’artiste porte pour la performance This is how I imagine love). La mélancolie de ce visage aimant est immédiatement transfigurée par la beauté de ce torse (pourtant poilu), torse à la fois masculin et féminin, par les cœurs roses que l’artiste a cachés dans le ventre du personnage, par une autodérision tendre et par une sincérité bouleversante… cet amour n’est vraisemblablement pas une situation tout à fait confortable, mais sa beauté est inouïe !
Il y a également des dessins indépendants, un chevalier amoureux de ses poules et qui porte des chaussures-cages pour ne jamais s’en séparer, une future colocation entre chevaliers – celui qui porte le costume en osier et qui ne peut manger que si quelqu’un le nourrit ; l’athlète, qui fait partie d’une équipe qui le rejette parce qu’il est blond, etc. Puis, il y a ce magnifique dessin d’un chevalier qui porte (comme pour les batailles) un casque qui a l’air d’une tête et qui sauvera peut-être la sienne : ces deux figures pleurent, et pour les protéger des larmes-pluie, Mike Bourscheid dessine une grille (paradoxalement douce) qui retient les gouttes. Il y a donc plein d’histoires, qui sortent comme d’un conte pour l’enfant qui se cache en chaque adulte, et l’un des moments les plus agréables de la découverte de ce travail est d’écouter ces histoires. Or, il y a eu un moment à la foire, un « pourquoi » posé par l’auteure de cet article auquel l’artiste a répondu avec son sourire légendaire : mais il n’y a pas de pourquoi à tout ! Et c’est peut-être à travers cette brèche que s’ouvre toute la beauté de ce travail qui est à la fois jouissif, joyeux, douloureux, mélancolique, innocent, critique, amoureux, dépendant de l’amour mais conscient et heureux de l’être, et surtout profondément libre car porteur de cette ambiguïté intelligente qui le caractérise.
Et bien c’est au fil des années que l’on apprend à vraiment connaître le travail d’un artiste : Mike Bourscheid fait des performances, il fait des costumes, il a une esthétique qui lui est propre et qui, même si elle est extrêmement attirante par ses couleurs et ses matières, ne dit pas toujours des choses faciles à accepter… Il est un artiste qui travaille le corps – ou plutôt sa libération de toute institutionnalisation et des diverses formes « d’idéologies qui se sont succédées ou télescopées dans la société du spectacle (corps marchandise, corps bien-être, corps souci de soi, corps fétiche, corps capital, corps surnaturé, [et surtout corps chrétien coupable et culpabilisé], …– [qui] représentent des formes d’incorporations de l’Ordre politique et de son Ordre corporel »4. Il faut (et ceci est plutôt rare) regarder le compte instagram de l’artiste – @bourscheidmike – car il est comme une librairie dont on n’arrive pas à sortir. L’on y découvre la pluralité de ses inspirations, recherches et références : de l’histoire de la mode (avec une prédilection pour Pierre Cardin et Rei Kawabuko) [corps sublimé, corps élégant, corps imaginé, corps fascinant], à l’histoire de la danse contemporaine [corps travaillé, corps libéré] et l’histoire de l’art [corps en lutte, corps en gestes, corps décoré], en passant par la vie quotidienne dans sa sublime trivialité.
L’on comprend alors l’importance que Mike Bourscheid porte à la vie, au quotidien, aux gestes – car parfois un geste, même le plus anodin, arrive à exprimer un « tout ». Dans ces travaux, pour une fois en « deux dimensions », l’on voyait toujours et encore le corps de l’artiste au travail (ses gestes) et l’on voyait le corps de l’humain de tous les jours, dans son incessante bataille contre et pour lui-même… L’après-confrontation (ou rencontre) avec le travail de Mike Bourscheid reste toujours le même : envie de s’assumer, soi, son corps, ses désirs, ses faiblesses, ses pouvoirs, ses rêves, envie d’oser imaginer vivre autrement, envie d’aimer, envie de rire, envie de vivre !