Le Frac Lorraine présente actuellement l’exposition Présences voyageuses autour d’œuvres de la collection du 49Nord 6Est. Ces œuvres ont beaucoup voyagé, objets de circulations multiples d’Athènes à Forbach et Neufchâteau en passant par San Francisco, dans des lieux sans cesse renouvelés, des médiathèques aux établissements scolaires en passant par les appartements, centres d’art, cinémathèques et biennales. Ces « présences voyageuses » deviennent le parti-pris d’une exposition forte où accrochage, dispositif de médiation et présence du spectateur sont considérablement repensés.
L’institution accrochée
Au travers de la circulation de ces œuvres et de la mise en visibilité de cette circulation, Présences voyageuses ne peut manquer d’interroger d’abord le lieu qui les accueille soit l’Institution elle-même. Mise en abyme de ces choix, Little Frank and his carp [Le petit Frank et sa carpe] (2001) d’Andrea Fraser se joue allégrement des questions de la place de l’artiste et de l’espace institutionnel de l’art. Filmée en caméra cachée, Fraser qui incarne une visiteuse du musée Guggenheim de Bilbao, réagit naïvement et émotionnellement aux injonctions d’intérêt fournies par un audioguide vantant l’architecture de Frank Gehry. Le visiteur regarde où on l’enjoint de regarder. Fraser investit l’espace-pouvoir du musée en questionnant cet ordre culturel « qui contrôle aussi bien les corps que les imaginaires ». Au visiteur de Présences voyageuses est offerte la possibilité de suivre l’artiste en coulisses mais aussi de (re)constituer son parcours au travers d’une cartographie des expositions où Little Frank and his carp est apparue et de la mise en visibilité des discours portés sur l’œuvre, parfois en langue étrangère. Le spectateur prend conscience de la multiplicité des circulations tout autant qu’il se forge sa propre interprétation de l’œuvre.
De la description médiatrice
Le « savoir » est investi par le spectateur. Il n’est plus seulement le fait de l’institution artistique qui guiderait les regardeurs au travers des travaux et de leurs significations. La signification naît par essence multiple. Le dispositif de médiation émerge de cette co-construction. « Les médiateurs.rices ont mémorisé la description des œuvres que la commissaire d’exposition voulait inclure dans l’exposition, mais qu’elle n’a pas retenues pour des raisons diverses. À la demande des visiteurs, ils transmettent cette description », est-il ainsi précisé au début du parcours. Les traditionnels cartels et documents accompagnant la visite cèdent la place à de petits feuillets retraçant la circulation des œuvres et les éclairages différents dont elles ont pu faire l’objet. Le spectateur s’approprie l’œuvre pour lui donner un sens qui lui est propre. Il constitue son propre carnet d’exposition dans un démarche résolument participante. Les travaux de l’artiste Lotty Rosenfeld, dont les photographies exposées la montrent en train de scotcher des bandes blanches en travers de la signalétique de routes, créant des croix là où il n’y avait que des lignes, redistribuent une forme de centralité.
Spectateur in situ
Cette centralité est aussi celle du spectateur de Présences voyageuses, libre de se laisser happer par une œuvre plutôt qu’une autre. Il est aussi au centre du dispositif. Des repères contextuels chronologiques jalonnent l’ensemble du parcours sans que cela ne bride les possibles interprétatifs. Il lui faudra pousser un certain nombre de portes dans une forme de réel métaphorisé, à l’image de l’extraordinaire Elegba Principle (1995-1997) de Willie Cole, pour faire l’expérience de ces œuvres. Puis s’arrêter devant les mille fiches du casier en métal de Stanley Brouwn, 1000 mm 881 mm 864 mm (1974), comme l’infinité de rencontres qu’il a pu faire au cours de cette exposition. À l’instar d’une œuvre d’art in situ, qui ne saurait être déplacée, le dispositif mis en place pour cette exposition ouvre à l’infini l’expérience de l’art.