Art contemporain

Habiter l’espace avec Lee Ufan

d'Lëtzebuerger Land vom 22.03.2019

Le Centre Pompidou Metz propose jusqu’au 30 septembre une exposition monographique des travaux de l’artiste sud-coréen Lee Ufan. De ses premiers pas en 1969 au sein de l’avant-garde japonaise Mono-Ha (« L’École des choses »), dont il est l’un des principaux théoriciens jusqu’à cette peinture conçue à même le mur du centre d’art pour cette exposition, les travaux du plasticien évoluent. Lee Ufan. Habiter le temps suit ce mouvement, entre réflexion sur absence et présence, où l’entrée du spectateur dans l’œuvre prend tout son sens.

Relatum Il suffit ainsi de s’attarder quelques minutes sur les spectateurs déambulant dans l’exposition pour s’apercevoir que certains d’entre eux ont les yeux fermés. Ils placent leurs corps à la verticale. Ils attendent quelques minutes, respirent profondément ou dirigent leur tête vers le ciel. Ils attendent qu’une forme de communion s’opère ou plutôt, ils sont déjà dedans : dans ce dialogue que l’artiste espère dès l’entrée de l’exposition. La première salle rend sensible à ce jeu d’apparition/disparition au travers de Dialogue (2019), peinture réalisée à même le mur de l’exposition baignée d’une atmosphère de tension et d’équilibre. La matière picturale n’est plus châssis tenant. Elle s’évapore dans le temps et dans l’espace. Le spectateur ne sait pas à quoi s’attendre, car son esprit peut déjà éprouver une forme de suspension par le vide. Un vide que Lee Ufan fait sien, s’approprie jusqu’à l’horizon. Cette suspension et cet effet de suspense se poursuivent. La deuxième salle accueille Relatum (1970/2019), pierre sur du verre, déplacée dans l’espace du musée. L’artiste nomme de ce mot latin la plupart de ses sculptures.

Cette relation, l’artiste la cherche aussi avec son public au travers de ses œuvres. Les éléments naturels et industriels se mêlent. Le spectateur est invité à circuler librement dans l’espace de l’installation, à l’investir. La salle quatre présente l’une des premières sculptures réalisées par le plasticien : Relatum (1969/2019) dispose au sol trois pierres et un mètre. Par sa présence, le regardeur peut décider du lien qu’il choisit de tisser avec l’œuvre. Les regards de l’artiste à l’œuvre, de l’œuvre au spectateur se croisent et peuvent correspondre dans une temporalité infinie, à l’image de celle voulue par l’artiste.

Correspondance « J’ai fini par choisir la pierre comme représentante du « non-faire ». La pierre possède en elle un temps aussi long que celui de la Terre », écrit Lee Ufan qui concède que ce « fragment de temps incalculable […] reste une entité incompréhensible ». La difficulté supposée de compréhension cède la place à une correspondance entre éléments industriels et éléments naturels.

Dans le quadriptyque Correspondance (1994), Lee Ufan souhaite réduire l’expression personnelle de l’artiste au minimum. Le cabinet de dessins, qui présente dans une pièce ses œuvres graphiques, réfléchit l’attention au geste créateur et à sa retenue. L’espace blanc du tableau est parfois volontairement laissé vacant. Ufan poursuit cette même réflexion au travers de l’utilisation du coton quand une autre de ses sculptures en incorpore l’acier. L’instant poétique surgit alors dont le regardeur se fait témoin, sinon complice. Mais l’artiste utilise aussi l’acier en d’autres circonstances. La salle cinq présente à cet égard un attrait gravitationnel intéressant quand quatre immenses plaques de métal et d’acier posées contre les murs ou les unes contre les autres revisitent l’espace temporel.

Qu’est-ce qui nous pousse à tourner autour de l’œuvre ? Ou à retourner dans cette pièce à plusieurs reprises refaire l’expérience de ce temps ? « La peinture ensevelie » réfléchit l’espace et sa représentation. Le tableau n’y est plus accroché aux cimaises, objet de contemplation ni même décroché, que le déplacement aurait mis en exergue mais bien au sol, retourné à un état naturel. Ufan se demande si la peinture est en relation avec le sol plutôt qu’avec le mur. Les travaux de l’artiste tissent ce lien souvent invisible entre monde intérieur et extérieur.

L’exposition Lee Ufan – Habiter le temps au Centre Pompidou Metz dure jusqu’au
30 septembre ; centrepompidou-metz.fr.

Florence Lhote
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