Quand le Théâtre ouvert Luxembourg (Tol) laisse les clefs de la maison à Claude Frisoni, celui-ci choisit le bar pour scène, ses états d’âme de vieux soixante-huitard pour texte, sa compagne Fabienne Zimmer pour le diriger et sa bande de potes pour public. Alors forcément, l’applaudimètre de la première explose la norme, pour autant, ce monologue de gauchiste, un poil réac – tout de même –, trouvera moins d’avenir au théâtre contemporain que devant des salles chauffées à bloc, bières au poing, les zygomatiques assouplies, venus assister à ce seul en scène dédié aux nostalgiques de mai 68…
On ne présente plus Claude Frisoni, homme de culture français qui a passé le plus long de sa carrière au Luxembourg et notamment douze ans à la tête du, anciennement nommé, Centre Culturel de Rencontre Abbaye de Neumünster (« Neimënster » aujourd’hui). Attaché culturel au Centre culturel français de Luxembourg sur sa trentaine, il prend la direction du Tol dans les années 90, coordinateur général de la première « année culturelle » de 1995 entre autres projets, pour finir directeur du CCRN jusqu’en 2014. Écrivain, acteur et directeur artistique, récompensé d’un tas de prix, de mérites et de médailles, il a été l’un des grands acteurs du développement des activités culturelles au Grand-Duché. Et aujourd’hui encore, Frisoni est l’une des « grandes gueules » du paysage culturel luxembourgeois…
Mais sois sans tweet, c’est à la fois le texte d’un vieux soixante-huitard, mais aussi celui d’un vieux, tout court. Avec tout le respect qu’on doit à l’auteur, on se le permet, car c’est précisément lui que le dit, « pourquoi je parle comme un vieux ? ». Ce n’est donc pas vraiment le soixante-huitard qu’a dû être Frisoni qui nous parle mais plutôt un sexagénaire plein de questionnements existentialistes, si l’on veut.
Et puis, Frisoni un pavé dans la main, c’est tout de même difficile à concevoir quand on sait qu’en 68, il avait quatorze ans. Qu’est-ce qu’on connaît au « travail », aux « pavés », à « l’impossible », quand on a quatorze ans ? Alors, estimons-le précoce, révolutionnaire juvénile.
Cette idée en tête, là, le texte frappe un peu plus. Il donne à entendre un constat cinglant de l’après-68, le ressenti d’un vieux gauchiste aigri par cinquante ans de désillusion. De fait, tout le monde en prend pour sa pomme, des grosses multinationales – dont Frisoni brandit tout de même un téléphone –, aux politiques, en passant par les bobos et surtout le néo Cohn-Bendit, vert jusqu’au cou, qui nous fait vaguement penser à quelqu’un…
Ensuite, on ne sait qui des deux, Frisoni ou Zimmer, a eu l’idée saugrenue de mettre en scène ce spectacle au bar du Tol qui, même si la forme rappelle le stand-up à l’américaine, n’invite pas à l’aisance de l’écoute. Pour que ça marche vraiment, il aurait peut-être fallu nous proposer un verre… Une déception qui ne fera que croître, surtout après que Frisoni lui-même se serve une bière en solo, derrière le bar.
Pourtant, la sauce prend très vite, le public « averti », dira-t-on, rit et sourit aux blagues du comédien. Faut dire que parmi les innombrables calembours et autres jeux de mots à rallonge, certains sont plutôt drôles. Et puis il y a une forme de sincérité dans ce qui est dit. On a d’abord l’impression que l’oncle Claude va nous bassiner avec ses refrains rétro anarchistes, mais pas vraiment. L’auteur a su mettre aussi du positif là-dedans, en admettant la libération des mœurs qui s’est opérée face au capitalisme dominateur qu’on connaît de nos jours. Ce qui est moins évident, c’est de comprendre si Frisoni « critique » ou « admet » que tout s’est barré en sucette… Parce que, pour être honnête, peut-on vivre au Luxembourg, antre capitaliste et se dire révolutionnaire de 68 ?
Mais le plus grand paradoxe de ce spectacle, dans un sens, c’est de lui affubler ce discours de « papy résistant pousse au cul » et, dans un autre, voir que ce même type, à la retraite, occupe coup sur coup deux théâtres de la capitale luxembourgeoise (Tol et TNL) avec deux spectacles dont il est l’auteur et l’interprète, sur un mois et demi dans seize représentations. En soi, c’est fort admirable, néanmoins, on se demande – avec tout le respect qu’on doit à ceux à qui on le doit – s’il reste de la place aux jeunes, ces nouveaux venus qui ne trouvent pas d’agora pour dire et montrer leur révolte à eux… Pas celles passées et quasi oubliées, celles de maintenant, celles qui touchent au monde et non à l’intimité d’un petit cercle de poètes sur le départ. On doit le dire, Mais sois sans tweet tire un peu dans le ringard. Mais c’est peut-être le bobo qui sommeille en nous qui parle…
Finalement, même si Frisoni réussit à nous décrocher deux ou trois sourires, dans l’ensemble, il ne convainc pas à nous faire aimer ce soloshow, justement monté trop « seul ». Ce Mais sois sans tweet, pourtant bourré de bonnes intentions, semble manquer de recul, on y oublie que le monde d’aujourd’hui ne trouvera pas sa révolution dans les slogans ou les manif’ – voyez « Nuit Debout » –. La rue n’a plus ce pouvoir, tout simplement parce que le monde a changé, tout comme « les espoirs d’hier » ne sont plus les mêmes. Ainsi, ce dernier Frisoni, ne trouve pas d’espace pour affiner son débat et peut-être qu’une co-écriture, avec une main jeune et révoltée, aurait été salvatrice.